Comportement humain, barbarie, humanité, conscience, usage de la liberté
N'est-il pas normal de reconnaître dans toute silhouette humaine au moins une parcelle d'humanité commune? Même si mon voisin a un comportement délictueux que je réprouve, j'ai tendance à admette qu'après tout, « nul n'est parfait » et que tout homme peut avoir des faiblesses.
Il n'en reste pas moins que, tant pour la conscience collective telle qu'elle s'est historiquement manifestée que pour ma conscience individuelle lorsqu'elle est heurtée par l'actualité, certaines conduites paraissent «inhumaines» ou «monstrueuses».
[...] Les actes commis sont tels qu'ils semblent ne pouvoir être expliqués, ni justifiés par aucune valeur: ce qu'ils traduisent, ce serait l'absence de toute valeur concevable par l'homme, et ainsi l'affirmation de l'inhumanité à l'état pur. Que peuvent-ils illustrer, sinon le mal? Le rejet de tels actes, et de ceux qui les commettent, résulte d'un jugement moral: c'est parce qu'ils font le mal, et de façon pour ainsi dire absolue, que ces hommes me sont absolument étrangers. En refusant d'avoir quoi que ce soit de commun avec ce qu'ils manifestent, je me situe du côté du bien, de l'humanité telle que je la conçois, comme devant être pacifique, harmonieuse, incapable d'autodestruction. [...]
[...] C'est l'orientation de cette liberté qui m'est incompréhensible, dès lors qu'elle mène à des comportements monstrueux. A son propos, Kant évoquait un détraquement mais cela n'en résout pas l'énigme. S'il est vrai que m'est complètement étranger l'inhumain le fait qu'un autre le devienne ébranle doublement la conscience: en rappelant que le mal est une possibilité offerte à l'homme, mais aussi en m'amenant à rejeter comme monstrueux celui dont je sais qu'il est malgré tout un homme. La condamnation morale est alors insuffisante, mais le désir de simple vengeance ou de pure élimination de l'inhumain reviendrait à rendre le mal pour le mal, et à adopter symétriquement un comportement inhumain pour sanctionner ou réintégrer dans la communauté celui qui lui est devenu étranger, il n'y a de solution rationnelle que juridique ou politique. [...]
[...] A - Comment repérer le barbare La philosophie n'a pas immédiatement été capable de penser l'homme dans son universalité. Les penseurs grecs excluent volontiers de l'humanité normale, c'est-à-dire de celle qui répond aux normes qu'ils définissent comme devant caractériser l'homme, ceux qu'ils nomment barbares Ce sont avant tout des individus qui, ignorant la langue grecque (l'étymologie les désigne comme utilisant un langage d'oiseau), ne peuvent en conséquence participer de la raison. Aussi Platon et Aristote n'ont-ils aucun scrupule à considérer qu'ils sont destinés à devenir des esclaves, Aristote précisant d'ailleurs que cette servitude ne peut que les améliorer en leur fournissant au moins une teinture de langue humaine. [...]
[...] Comment, dès lors, en rendre compte? On peut, comme l'a fait Hannah Arendt, évoquer la banalité du mal pour désigner l'enchaînement bureaucratique au terme duquel un homme, parce qu'il se contente d'obéir aux ordres reçus, finit par agir de façon inacceptable. C'est alors le système dont il ne serait qu'un rouage qu'il faut mettre en cause, pour pointer dans le totalitarisme la possibilité d'un mal radical Mais le totalitarisme ne dépend lui-même que d'un projet politique qui n'a pas d'autre origine qu'un ensemble de choix effectués par certains hommes. [...]
[...] III- Comment penser l'humanité du mal? Il n'y a que l'homme qui puisse être inhumain: Il n'en reste pas moins que celui que je qualifie d'inhumain devrait, ou aurait pu, être un homme: l'accusation d'inhumanité ne concerne en rien un animal, elle révèle chez celui qu'elle vise l'absence d'un accomplissement attendu ou, si l'on préfère, la présence de ce qui devrait ne pas se manifester, de ce qu'il aurait fallu refuser. Dire ou constater qu'un autre m'est complètement étranger témoigne d'une sorte de déception: là où je prévoyais de rencontrer un homme, je ne trouve que sa négation. [...]
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