Il est peu contestable que, pour la majorité des personnes qui travaillent, le travail est avant tout une façon, pas toujours agréable puisque contraignante, de « gagner leur vie ». L'expression n'est pas très justifiée, puisque « leur vie » n'a pas à être « gagnée »: elle est déjà là, il s'agirait plutôt dans ce cas, de gagner sa survie, puisque travailler permet de se procurer les biens nécessaires à celle-ci.
Si tel était le seul « gain » du travail, on ne risquerait guère d'en être satisfait: il ne ferait qu'obéir à la nécessité. Mais l'idée d'un « gain » implique autre chose que le simple échange du temps passé à travailler contre un salaire: en deçà de son interprétation utilitariste, le travail doit donc offrir la possibilité d'un gain véritable, qui ne se manifesterait pas en son absence.
[...] C'est avec la « dialectique du maître et de l'esclave » que s'affirme de la façon la plus profonde la relation entre le fait de travailler (et d'y être contraint) et la transformation de la conscience humaine, qui finit par atteindre sa plus haute liberté. Hegel montre en effet que c'est bien parce qu'il travaille et s'enrichit en transformant la matière que la conscience de celui qui s'est d'abord choisi comme « esclave » dans le but de préserver sa vie finit par se définir elle-même (en se passant du « maître ») comme capable d'oeuvrer de manière autonome et d'humaniser la nature par son activité (...)
[...] Rousseau souligne également que c'est dès la formation des premières sociétés que le travail apparaît, c'est-à-dire après la rupture d'un équilibre antérieur entre les productions de la nature et les besoins de l'homme isolé: puisque les besoins augmentent, il faut désormais obliger la nature à produire autrement et davantage (mise au point de l'agriculture et de l'élevage, puis de la métallurgie). Mais il a pu sembler indigne de l'homme De telles considérations n'impliquent pas que l'homme doive par définition travailler. [...]
[...] Au contraire, ce que le travail a de physiquement contraignant semble le rendre peu compatible avec ce qui est admis, par la pensée grecque notamment, comme caractérisant l'être humain : l'exercice de la raison. On rejette donc le travail sur les esclaves, qui ne sont qu'une sous humanité, et dont la République idéale de Platon maintient l'existence comme celle d'une sorte de sous classe tandis que les artisans, qui se trouvent malgré tout impliqués dans les transformations et la circulation des objets matériels, constituent sans doute une classe de citoyens, mais à laquelle on réserve un sort particulier, puisqu'ils ne participent pas au communisme de la cité. [...]
[...] On gagne sa survie par son travail Les biens nécessaires ne sont pas donnés Chacun fait quotidiennement l'expérience d'une situation peu enthousiasmante: pour continuer à vivre, il est nécessaire de se procurer un certain nombre de biens qui ne sont pas immédiatement à sa disposition. Se loger, s'habiller, se nourrir constituent des besoins élémentaires, auxquels on ne peut échapper; il faut donc les satisfaire, et pour cela, disposer de finances suffisantes. Or l'argent, pour qui n'en a pas dès la naissance en quantité impressionnante, ne peut être obtenu dans la société telle qu'elle est que par le travail. C'est-à-dire par le temps dévolu à une occupation mercenaire, en échange duquel on touchera un salaire. [...]
[...] C'est pourquoi on peut admettre que travailler soit compris simplement comme l'accomplissement d'un devoir. Un devoir qui n'est pas seulement social (aux fins d'une bonne intégration), mais ou résonne quelque chose du sens profond philosophiquement attribué au travail: il appartient à l'homme, non seulement comme espèce mais aussi comme individu, de participer activement à sa propre définition et à son affirmation dans le monde. Le gain du travail est bien alors la liberté, et dans les différents sens que celle-ci présente: liberté relativement à la nature (dont le travail nous éloigne), mais aussi liberté par rapport à la société elle-même, dont le travailleur se sent indépendant (il ne dépend pas de son aide pour survivre), même si le travail qu'il peut réaliser dépend de l'organisation sociale. [...]
[...] Dans de telles conditions, on voit mal quel gain serait à espérer du travail. Quel gain espérer ? Sans doute le travailleur, même ainsi déshumanisé, ne rejoint il pas une simple animalité, dont le travail l'éloignait en théorie. Mais surtout, on constate que les conditions du travail, dans les pays industrialisés, se sont améliorées depuis Marx, en sorte que le travailleur, comme individu réel, connaît des conditions bien meilleures: son temps de travail a globalement diminué, il bénéficie de temps libre et de vacances, de droits sociaux, etc. [...]
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