Si chaque « vision du monde » semble en un sens aller de soi, ou être « naturelle », c'est aussi parce qu'elle est partagée par les membres d'une même culture. Elle doit donc sans doute beaucoup à l'un des aspects fondamentaux de cette culture, c'est-à-dire au langage.
Ce dernier n'est pas seulement ce qui assure la communication. Il est d'abord ce qui fournit les sujets (ou les objets) sur lesquels communiquer, et les formes de réflexion ou d'argumentation qui pourront être mises en jeu dans une discussion. S'interroger sur la façon dont le langage influence notre « vision du monde », c'est
inventer à mieux comprendre sa constitution, et sa singularité.
[...] Si notre rapport quotidien avec le monde est rendu plus efficace par les mots, les noms communs sont-ils, dans des domaines moins immédiatement pratiques, sources d'erreur ? Bergson souligne les déformations que les « mots-étiquettes » imposent à l'existence subjective ou à la connaissance. En effet, si ce qui existe dépend d'un fond de créativité permanente ou d'un « élan vital », nommer, c'est y découper des moments ou des états figés qui ne peuvent constituer une « vision du monde » de valeur. Mais ce que découvre l'intuition ne peut être transmis que par du langage : il s'agit alors de déconceptualiser les mots, ou d'en inventer un usage métaphorique, et c'est bien ce à quoi aboutit Bergson lui-même. (...)
[...] Par exemple, la classification des organismes vivants compte aujourd'hui quelques millions de termes. Ou encore, le langage des mathématiques s'enrichit sans cesse de nouveaux concepts et de nouvelles relations. Tous ces vocabulaires spécialisés sont ignorés des non-spécialistes, et le public ne peut comprendre le monde tel que el conçoivent les sciences. La philosophie elle-même dépend initialement de la langue grecque Non seulement parce qu'on admet qu'elle se manifeste d'abord dans cette langue, mais plus fondamentalement parce que la question: Qu'Est-ce que l'être? [...]
[...] Et celui-ci est perçu en fonction du vocabulaire (quand on dispose de 25 mots pour désigner la neige on voit 25 neiges différentes). II- Tout vocabulaire influence notre relation avec les choses Dans la pratique, on recourt à des vocabulaires plus ou moins précis Se promener dans une forêt, c'est voir des arbres ou des buissons. Faire la promenade avec un botaniste, c'est apprendre à en nommer les espèces (nomination qui n'est pas nécessaire pour le simple plaisir de la promenade). [...]
[...] Notre vision du monde doit elle quelque chose au langage? Si chaque vision du monde semble en un sens aller de soi, ou être naturelle c'est aussi parce qu'elle est partagée par les membres d'une même culture. Elle doit donc sans doute beaucoup à l'un des aspects fondamentaux de cette culture, c'est-à-dire au langage. Ce dernier n'est pas seulement ce qui assure la communication. Il est d'abord ce qui fournit les sujets (ou les objets) sur lesquels communiquer, et les formes de réflexion ou d'argumentation qui pourront être mises en jeu dans une discussion. [...]
[...] La vision du monde que proposent des spécialistes et des technocrates devient très différente de la vision du monde des citoyens de base. Il est assez facile de constater que le langage influence grandement la vision du monde que nous pouvons former. Mais s'en tenir à cette observation générale serait oublier qu'à l'intérieur même d'une société moderne, les langages spécialisés ne sont pas également maîtrisés par tous. On débouche ainsi sur un constat de toute autre nature, puisqu'il concerne la démocratie elle-même et la diffusion qui peut être faite du savoir. [...]
[...] Bergson souligne les déformations que les mots-étiquettes imposent à l'existence subjective ou à la connaissance. En effet, si ce qui existe dépend d'un fond de créativité permanente ou d'un élan vital nommer, c'est y découper des moments ou des états figés qui ne peuvent constituer une vision du monde de valeur. Mais ce que découvre l'intuition ne peut être transmis que par du langage : il s'agit alors de déconceptualiser les mots, ou d'en inventer un usage métaphorique, et c'est bien ce à quoi aboutit Bergson lui-même. [...]
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