On admet volontiers que la philosophie aussi bien que la science, parce qu'elles privilégient l'exercice de la raison, critiquent la croyance comme contraire à la raison. Mais peut-être s'agit-il là d'une croyance ?
En effet, s'il semble que les démarches rationnelles doivent, pour s'établir, éliminer certaines croyances, il apparaît aussi que la raison elle-même doit reconnaître ses propres limites, ce qui laisse de la place pour des croyances d'une autre nature, en un sens raisonnables et non irrationnelles. D'autre part, comment garantir que l'usage de la raison, notamment dans l'élaboration de la connaissance, ne repose pas lui-même sur une croyance ? On devrait ainsi admettre que certaines croyances, loin d'être simplement contraires à la raison, peuvent en réalité venir la compléter à leur manière.
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Dès ses débuts, la philosophie s'établit en privilégiant ce qui se comme logos (la raison comme équilibre et calcul) et en contestant la valeur de vérité du muthos (discours ou parole mythique) qui régnait antérieurement : Platon accomplit un « parricide » à l'égard de Parménide, l'un des présocratiques qu'Aristote qualifiera de « balbutiants » dans la mesure ou leurs écrits paraissent ne pas respecter les principes de la « logique », qui n'est que l'autre nom des exigences rationnelles. Le muthos invite à la croyance, son origine est peu situable, il se transmet à travers les enseignements des « inspirés » (par une divinité) que sont, selon Platon, les devins, les prêtes ou les poètes. A l'inverse, c'est l'homme qui s'affirme responsable du logos, et qui le définit comme possibilité de dialogue (parole échangée en quête de vérité). Lorsque Platon fait des emprunts aux mythes (l'androgyne, Prométhée, etc.), ce n'est pas pour les transmettre tels quels, c'est pour les commenter et en extraire un noyau de sens : de la croyance antérieure, on ne conserve que ce qui est réductible par et à la raison (...)
[...] Toute croyance est elle contraire à la raison? On admet volontiers que la philosophie aussi bien que la science, parce qu'elles privilégient l'exercice de la raison, critiquent la croyance comme contraire à la raison. Mais peut-être s'agit-il là d'une croyance? En effet, s'il semble que les démarches rationnelles doivent, pour s'établir, éliminer certaines croyances, il apparaît aussi que la raison elle-même doit reconnaître ses propres limites, ce qui laisse de la place pour des croyances d'une autre nature, en un sens raisonnables et non irrationnelles. [...]
[...] II- Mais la raison a parfois des défauts: De quelle raison parle-t-on? Cette opposition traditionnelle est sans doute trop simple. Il faudrait d'abord rappeler que la raison n'est pas toujours semblable à elle- même, et qu'en conséquence, l'irrationnel change au cours de l'histoire. Ce que les philosophes grecs qualifient de rationnel ne propose qu'une version historique des capacités rationnelles, et Bachelard a bien montré, dans sa Philosophie du non, que ces dernières se modifient en fonction de leurs propres découvertes, c'est-à-dire de l'évolution du savoir scientifique lui- même. [...]
[...] Que celle-ci ne soit qu'un espoir sans cesse démenti suffit pour indiquer que la raison est loin d'être la seule à diriger les hommes et les sociétés. L'être humain n'est pas que raison: il vit aussi de rêves, de passions, et pourquoi pas de croyances, notamment de celle au pouvoir de la raison . Et si l'exercice de la raison supposait une croyance? En prétendant imposer la mesure en tout, la raison ne produirait elle pas un affaiblissement de l'existence? [...]
[...] Or, lorsque la raison s'est habituée à certain domaine d'expérience. Or, lorsque la raison s'est habituée à certains systèmes, il ne lui est pas toujours facile, comme le montre la résistance rencontrée par les géométries non euclidiennes, d'accepter des systèmes différents: des vérités risquent alors de se transformer en croyances, parce que la nécessité de les transformer est mal admise. Pourquoi reconnaît-on son pouvoir? Indépendamment de ses variations historiques, la raison bénéficie d'un préjugé favorable: elle serait ce qui fait la valeur ou la grandeur de l'homme. [...]
[...] La croyance comme au-delà du savoir? La solution kantienne est moins brutale. En considérant que la raison ne peut connaître que l'univers des phénomènes, Kant admet que relève bien de la croyance tout ce qui excède ce dernier, soit la métaphysique et ses idées principales: l'immortalité de l'âme, l'existence de la liberté et celle de Dieu. Mais ces croyances, même si elles ne peuvent toujours pas être démontrées rationnellement, sont dans une certaine mesure raisonnables dès lors qu'elles apparaissent comme fondant la morale et garantissant sa parfaite cohérence. [...]
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