Commentaire de l'incipit de Memnon de Voltaire, depuis : « Memnon conçut un jour le projet insensé d'être parfaitement sage .» jusqu'à : « ? cela est sans difficulté ». 3 pages
Voltaire est un homme mûr quand il rédige et publie Memnon en 1749. Ecrivain célèbre, philosophe engagé dans tous les combats contre l'intolérance, ce chef de file des Lumières en France et dans toute l'Europe est aussi un homme fortuné, amoureux des plaisirs qui séduisent tout mondain et passionné de théâtre (c'est sur les planches un comédien résolu à s'amuser tout en amusant la galerie). Tous ces traits, on les retrouve dans ses contes philosophiques, aussi bien sa verve que son ironie mordante, mais toujours dans une note plaisante qui détend tout en faisant réfléchir.
[...] Le manichéisme propre au mythe et aux contes traditionnels caractérise les propos de Memnon ; ce qui relève du désir et de la tentation est valorisé par l'hyperbole et des expressions sans nuance : « beauté parfaite », « beaux yeux », « gorge ronde », « belle tête », « vins délicieux », la réalité future s'identifiant au vieillissement, à la laideur, au ridicule ou à la maladie, ou bien encore à la cruelle servitude du courtisan. Bref, malgré ce qu'il y a de sérieux dans le projet de sagesse de Memnon et dans le ton qu'il semble prendre en y réfléchissant, nous sourions durant cette ouverture assez proche des contes classiques. [...]
[...] Sa propre assurance le fragilise aux yeux du lecteur : tout soliloque rend méfiant un témoin (après tout un fou ne se parle-t-il pas tout seul Ce petit plan de sagesse dans une chambre, comme l'écrit Voltaire au paragraphe suivant, semble effectivement déraisonnable, car il tourne le dos à la vie. Voltaire nous laisse ainsi entendre, par antithèse, que la véritable sagesse repose sur l'expérience (méditée). L'incipit de Memnon ne répond que bien peu et formellement aux indices du conte traditionnel. [...]
[...] « Cela est sans difficulté », prétend Memnon à la fin du passage qui nous concerne, mais c'est justement le contraire qui sera ensuite montré. La réalité dément toujours nos rêves les plus fous. Ne tirons de leçon que de l'expérience, la sagesse véritable dont la lucidité est parente est à ce prix. [...]
[...] Cet avertissement à deux amplitudes (un individu, puis le genre humain) oriente sans hésitation notre lecture des propos que se tient Memnon. Le récit est au passé, mais le passage au style direct est au présent de narration, auquel s'ajoute le futur de l'indicatif, permettant ainsi au discours d'être construit sur l'opposition du présent et du futur : le présent du rêve, de l'illusion, de la certitude a priori, le futur du réel qui devrait aider Memnon à renoncer à tous les plaisirs qui sollicitent la majorité des hommes ou celui de l'expérience qui démentira cruellement. [...]
[...] Mais il y a autre chose qu'induit la présence du narrateur dès la première phrase du récit. Le lecteur n'est-il pas orienté d'emblée par elle dans son intelligence du monologue de Memnon ? N'entre-t-il pas avec Voltaire comme dans une scène comique dont il lui resterait à identifier la vraie portée ? C'est le narrateur qui introduit le discours de Memnon, d'une façon qui n'est pas neutre : Voltaire émet un jugement destiné surtout à nous prévenir ; il le fait d'un ton amusé, ce qui lui permet du même coup de délivrer son message, une réflexion philosophique, mais aussi de mettre en scène un personnage dont les faiblesses vont nous éclairer tout en nous amusant (c'est mettre les rieurs de son côté à coup sûr). [...]
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