Si l'ouvrage de Will Kymlicka présente la diversité des théories politiques de la justice, il ne manque pas de souligner que toutes ces théories font consensus autour de l'idée que les individus sont tous égaux, faisant ainsi écho à la célèbre formule de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen selon laquelle « Tous les hommes naissent libres et égaux en droit ». De fait, le féminisme est une notion dont la pertinence est à chercher moins dans l'usage du terme que dans le problème qu'il indique, à savoir l'existence d'une domination inhérente au rapport entre les deux sexes et l'idée de sa résolution possible dans une relation d'égalité. Ce pourquoi l'auteur entend accorder une place importante à cette question, dans la mesure où elle fait problème, du marxisme au libertarisme en passant par le libéralisme. Il s'agit donc pour Kymlicka de remonter à la structure principale de ces théories, la famille, pour montrer à quel point les réflexions élaborées à partir de cette entité de base ont donné lieu à une confusion patente entre la sphère publique et la sphère privée, et ont contribué à alimenter les discriminations. Une fois démêlée cette intrication, on pourra alors considérer une tentative de reconstruction des valeurs morales, non pas sous l'angle de la justice, mais sous l'angle d'une nouvelle éthique, celle de la sollicitude.
[...] John Rawls, La Théorie de la Justice, p470. Pateman Feminist Critiques of the Public/Private Dichotomy ».in A. Philips (éd) Feminism and Equality. June Eichbaum. Charles Taylor, Multiculturalisme, p 42. Okin, Reason and Feeling in Thinking about Justice Ethics. [...]
[...] En effet, d'un côté comme de l'autre, les positions ne sont pas aussi tranchées. L'éthique de la sollicitude fait référence à la commune humanité, au même titre que l'éthique de la justice fait référence aux spécificités des individus. Les critiques que l'on peut adresser à la position originelle de Rawls qui, au premier abord, semble effectivement faire abstraction de la spécificité des individus, doivent être repensées. En effet, le fait que les individus doivent raisonner en faisant abstraction de leur propre position sociale, de leurs aptitudes naturelles, et de leurs préférences personnelles, quand il s'agit de penser aux autres ne signifie pas qu'ils doivent ignorer ces mêmes caractéristiques chez autrui Sur ce point, la différence entre éthique de la sollicitude et éthique de la justice ne tient pas longtemps puisque toutes deux laissent place à l'individualité comme à la commune humanité. [...]
[...] Néanmoins, on ne peut pas passer outre une distinction importante entre souffrance subjective et injustice objective qui elle, semble bien sous- tendre une divergence entre éthique de la sollicitude et éthique de la justice. La première entend faire droit à la souffrance de l'individu quelle qu'elle soit. C'est à dire que si l'individu souffre, nous devons lui porter secours, et ce qu'il soit ou non responsable de sa situation dommageable. En revanche, selon l'éthique de la justice, c'est seulement de l'injustice objective que nous devons nous préoccuper. [...]
[...] La séparation entre public et privé est ainsi [présentée] comme une division interne au monde des hommes.[4] Cette exclusion de la vie domestique de la sphère de l'Etat comme de la société civile n'a donc pu conduire qu'à sa profonde dépréciation. Et si les grands courants visant à abattre les hiérarchies statutaires ont laissé en l'état une telle discrimination, c'est peut-être avant toutes choses parce que celle-ci leur était profitable. Mais il faut aussi bien comprendre que la priorité du politique sur le social repose sur le souci d'universalité du politique, en vertu de laquelle on délaisse le social, qui lui, semble être le lieu du particularisme. C'est probablement ainsi que l'on en est venu à négliger la vie domestique. [...]
[...] La critique qu'adresse l'éthique de la sollicitude à l'éthique de la justice reprend schématiquement l'ancien clivage entre Humanisme abstrait et Romantisme. C'est la définition de l'individu qui est en jeu ici. Selon les défenseurs de l'éthique de la sollicitude, les partisans de l'éthique de la justice considèrent l'individu en faisant abstraction de son individualité spécifique et ne le considèrent qu'en ce qu'il est un membre de l'humanité. On ne peut pas ne pas faire le rapprochement avec la critique des romantiques faite aux humanistes qui considéraient l'individu en faisant abstraction de ces caractéristiques (culturelle, religieuse ) personnelles. [...]
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