« La raison est à l'égard du philosophe ce que la grâce est à l'égard du chrétien » a écrit Montesquieu. Il soutient ici que la raison et la grâce sont deux outils parallèles mais distincts et opposés. Ce sont deux moyens distincts qui sont applicables dans deux domaines opposés et hermétiques l'un à l'autre. L'outil du philosophe est la raison; celui du chrétien est la grâce.
Montesquieu représente bien ici le mouvement des Lumières dont il est issu, tout comme Voltaire : tout doit être expliqué à la lumière de la Raison et indépendamment de la révélation religieuse. Pourtant, Chateaubriand, figure emblématique du préromantisme, semble condamner cette stricte séparation. Il écrit en effet à propos de Voltaire : "Il fait luire une raison qui détruit le merveilleux, rapetisse l'âme, et montre sous un jour hideusement gai l'homme à l'homme." Il entend mettre ici en évidence le fait que l'exclusion des deux domaines que constituent la Raison et la révélation religieuse est nuisible à la littérature et surtout à la vision de l'homme. Ce jugement de Chateaubriand sur Voltaire nous invite à nous interroger sur les caractéristiques du projet voltairien, ses intentions et les choix littéraires et stylistiques qu'il implique. Il est clair que Voltaire revendique être un homme de raison et l'on envisage difficilement qu'il puisse accorder une quelconque place, aussi infime soit-elle, à ce que relève de l'inexplicable et de l'étrange i.e. le merveilleux. Nous pouvons cependant nous demander quelle place joue le rôle de la raison, et, à fortiori de la fausse raison dans la destruction du merveilleux. S'il semble clair que Voltaire prétend à une entreprise rationnelle, dans quelle mesure le rejet rigoureux et définitif du merveilleux est-il raisonnable? La raison est-elle toute puissante? Ne connaît-elle pas, au contraire, certaines limites qui justifieraient un certain recours à l'outil du merveilleux? Si tel est le cas, n'est-il pas périlleux de n'admettre que la raison dans une entreprise? Alors que la Raison cherche à poser des limites, comment peut-elle être en mesure de rendre compte de ce qui se trouve hors de ces limites? En d'autres termes, la Raison délimitatrice n'est-elle pas une Raison limitée? Après avoir vu en quoi le projet voltairien est définissable par sa volonté de rationalité formelle et de description terrestre de l'homme, nous poserons les limites du pouvoir de cette raison. Nous verrons alors en quoi Voltaire peut être amené à recourir au merveilleux, dans un emploi particulier. Ces deux contradictions nous amèneront à redéfinir les enjeux de l'usage de la raison chez Voltaire; est-elle motif ou mobile de l'entreprise?
[...] En effet, l'efficacité du style voltairien repose sur la concision. Mais si l'on réexamine les formules étudiées en première partie, l'on peut s'apercevoir que celles-ci, plutôt que de viser l'efficacité, cherchent avant tout à contourner une démonstration fondée en raison, que Voltaire n'est peut-être, finalement, pas en mesure de produire. En définitive, le projet initial de ne fonder son discours que sur la raison pure est irréalisable. Le recours au merveilleux s'avère donc peut- être nécessaire. Dans cette perspective, le tort de Voltaire n'est pas tant de céder au merveilleux, qui, utilisé à bon escient peut présenter certaines vertus - présenter l'homme divin, le modèle à suivre est peut- être une modalité efficace de l'enseignement- mais le fait qu'il n'assume pas cette irrationalité et qu'il rapetisse l'âme; l'esprit n'est ni totalement raison, ni totalement âme. [...]
[...] Un exemple frappant est celui de son jugement sur la philosophie cartésienne. Dans la lettre XIII, Voltaire résume en quelques lignes les postulats et conclusions de la démarche de Descartes; Notre Descartes ( . ) s'imagina avoir démontré que l'âme était la même chose que la pensée, comme la matière selon lui, est la même chose que l'étendue : il assura que l'on pense toujours, et que l'âme arrive dans le corps pourvue de toutes les notions métaphysiques L'emploi du passé simple donne l'impression d'une rapidité du raisonnement, comme si la démarche était réductible à cet enchaînement logique de postulats. [...]
[...] En d'autres termes, la Raison délimitatrice n'est-elle pas une Raison limitée? Après avoir vu en quoi le projet voltairien est définissable par sa volonté de rationalité formelle et de description terrestre de l'homme, nous poserons les limites du pouvoir de cette raison. Nous verrons alors en quoi Voltaire peut être amené à recourir au merveilleux, dans un emploi particulier. Ces deux contradictions, nous amèneront à redéfinir les enjeux de l'usage de la raison chez Voltaire; est-elle motif ou mobile de l'entreprise? [...]
[...] Voltaire critique arbitrairement e ce qu'il n'approuve pas sans argumenter. Or, d'après Hegel, le vrai philosophe n'est pas celui qui juge et qui condamne, mais celui qui s'efforce de tout comprendre, même ce qui semble opposé à la raison. Une critique n'acquiert sa légitimité que si elle est solidement fondée. Ainsi, Voltaire sape lui-même le système rationnel, voire rationaliste, qu'il avait instauré. Sa raison n'est que théorique et formelle. Il ne cherche pas à transformer celle-ci en raison pratique et effective. [...]
[...] Voltaire prétend livrer un reportage rigoureux et formellement rationnel, un compte-rendu précis de faits réels, analysés à la lumière de la Raison. On peut, en effet, souligner l'exactitude relative de l'information. Voltaire dit se pourvoir de guides sûrs dès qu'il aborde une question précise. De L'État présent d'Angleterre de Chamberlayne à L'Essai sur l'entendement humain de Locke, Voltaire se base sur une documentation pour assurer un fondement solide à son projet. Cette démarche quasi scientifique laisse naturellement peu, et idéalement aucune, place à l'inexplicable. Le merveilleux et les phénomènes étranges se situent en dehors des limites que la Raison a posées. [...]
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