La volonté de punir, tant qu'elle s'exprime dans le langage du droit, équilibre la tendance à la répression par une tendance contraire à la clémence. Mais cette exacerbation de la réaction sociale, véritable invocation d'un peuple imaginaire, provoque une paralysie des médiations démocratiques.
La démocratie est alors facilement otage des paniques morales qui se propagent dans une société médiatisée. Nous sommes dorénavant en face d'un double mouvement : d'un côté le déclin de notre sollicitude envers l'homme coupable face aux formes multiples d'insécurité ; de l'autre la demande croissante des victimes qui place notre société sous l'emprise des sentiments moraux. Nous vivons à la fois la crise d'une réponse individualisée à la délinquance et une exigence de reconnaissance des victimes.
La question que pose l'ouvrage de Denis Salas "La volonté de punir, essai sur le populisme pénal" est la suivante : que s'est-il passé pour qu'une telle ferveur punitive envahisse les palais de justice ? Désormais, au nom d'un devoir de mémoire envers les victimes, une volonté de punir envahit les sociétés démocratiques. Partout les États spécialisent une police qui ausculte une société perçue comme menaçante. À nouveau l'État s'arme puissamment et avec la multiplication des infractions, l'aggravation des peines et l'inflation carcérale, le prix de la sécurité ne cesse d'augmenter.
[...] Le droit de punir n'est plus le moyen de normaliser un individu déviant, mais devient partie prenante d'un dispositif de sécurité. La lente croissance de la petite et moyenne délinquance depuis un demi-siècle va peser lourdement sur les politiques publiques. La croissance indiscutable des violences contre les personnes renforce cette insécurité. Massivement sollicitée, la justice offre des réponses inadéquates ou tardives. Une sensibilité à l'insécurité nourrit des attentes nouvelles, met à l'épreuve les institutions pénales. A partir du milieu des années 1970, une insécurité polymorphe s'installe durablement. [...]
[...] La part évaluative du jugement est simplifiée à l'extrême. Cette gestion des flux génère un sentiment de lassitude, de disqualification ou même de perte d'identité. La demande croit alors que les moyens restent constants. Cette économie pénale favorise la croissance des alternatives aux poursuites ou aux procès. La qualité de cette justice négociée demeure incertaine, son application peu évaluée. Cette individualisation procédurale rend la décision moins sujette à des effets de système qui conduisent mécaniquement à la prison : le choc de l'arrestation, le passage en garde à vue, puis la première incarcération ont des effets irréparables. [...]
[...] Le droit de punir deviendrait en somme le baromètre de nos valeurs dont les peines seraient le repère. Le danger d'un moralisme punitif n'est pourtant pas mince. Les exigences réparatrices se retournent contre les droits de la personne dont elles revendiquent à leur seul profit l'application. Alors que les droits de l'homme ont été le rempart de la lutte contre le système totalitaire, ils deviendraient le meilleur soutien des politiques sécuritaires. Le droit de punir est en quelque sorte investi de la dignité morale des droits fondamentaux ainsi compris. [...]
[...] Le droit de punir s'adapte à la menace protéiforme du crime organisé. Il s'agit moins de comprendre les causes de l'insécurité réelle que de surveiller des groupes et des lieux désignés. VI) Les défis d'une politique de justice et de sécurité Au vu de tous ces éléments, la question est la suivante : à quelles conditions est-il possible de résister aux élans de la volonté de punir qui fragilisent tant nos démocraties ? En se livrant à la surenchère pénale, la démocratie joue contre elle-même, dénature sa fonction d'expression du peuple. [...]
[...] A la faveur de cette nouvelle sensibilité au crime s'installe l'imaginaire victimaire qui trouve un terrain fertile dans nos démocraties d'opinion. Diabolisation de l'adversaire et théorique morale façonnent un discours dualiste, une politique de la pitié où s'enracine le populisme pénal. Le fait divers façonne une politique pénale qui vibre au contact de l'opinion. Issu de ces effets de communion le droit de punir devient le grand régulateur de tous les scandales à travers la loi, il apporte la marque solennelle d'un engagement dans la lutte contre le mal. [...]
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