Au regard de l'immensité du monde et de la multitude des êtres, nous sommes tous des pygmées écrasés par le gigantisme des choses, nous sommes tous des hommes qui rétrécissent. Et le village global n'est que la somme des contraintes qui asservissent tous les hommes à une même extériorité dont ils tentent de se préserver à défaut de la maitriser. Nous semblons ainsi dessaisis de nous-mêmes par un enchainement de forces sur lesquelles nous n'avons aucune influence.
Cette sorte de maladie de l'individualisme qui consiste à vouloir échapper aux conséquences de ses actes, cette tentative de jouir des bénéfices de la liberté sans souffrir aucun de ses inconvénients est appelée "innocence" par l'auteur et consiste en deux tendances : infantilisme et victimisation.
[...] Nous vivons toujours dans un monde dominé par des valeurs masculines. Si les femmes ont conquis un nouveau droit, c'est celui d'être malheureuse : elles sont devenues, après les hommes, des personnes privées, contraintes tout comme eux de s'inventer dans le trouble et le tâtonnement. Et en désertant souvent malgré eux les rôles qui leur étaient dévolus, mais sans les abandonner tout à fait, hommes et femmes se retrouvent désormais dans une sorte d'incertitude où ils se doivent de bricoler de nouveaux modèles à partir des anciens. [...]
[...] Chacun devient une exception à laquelle le code devrait s'adapter, chacun déduit le droit de sa propre existence. La victimisation est la version doloriste du privilège, elle permet de refaire de l'innocence comme on refait une virginité. La démocratie se résume désormais à la permission de faire ce que l'on veut. Et quand les élites se veulent au-delà du bien et du mal et refusent toute espèce de sanction, c'est l'ensemble du corps social qui est invité à bannir l'idée même de responsabilité. [...]
[...] Ainsi depuis la Révolution les contraintes qui pèsent sur les individus n'ont cessé de s'accroitre, et ce en proportion de son affranchissement. Plus le sujet moderne se veut libre, ne tirer que de soi ses raisons d'être et ses valeurs, plus il sera enclin pour se décharger du doute et de l'angoisse, à invoquer un cruel fatum. La victoire de la société sur l'individu est une victoire ambigüe, c'est un cadeau empoisonné et la contrepartie d'un terrible commandement : c'est à chacun désormais qu'est dévolue la tâche de se construire et de trouver un sens à son existence. [...]
[...] Mais ce tout petit peu devient un alibi pour ne rien faire. L'indifférence n'ose plus s'avouer telle qu'elle est et parle le langage du sacrifice, du cœur sur la main. Nos sociétés consument leurs idéaux au sens littéral du terme, les ridiculisent en les célébrant. Et notre esprit de fraternité meurt non de dessèchement mais d'emballement, dans un déferlement de simulacres, de fanfares et de bons sentiments. Non seulement chacun découpe le globe selon ses affinités ou ses propres intérêts mais il est des calamités médiatiquement rentables et d'autres qui méritent à peine un sourire désolé. [...]
[...] Conclusion : la porte étroite de la révolte Le puérilisme et la jérémiade ne sont pas des accidents mais des défis auxquels nous serons toujours confrontés. On ne guérira pas l'individualisme par un retour à la tradition ou une permissivité accrue mais par une définition plus exigeante de son idéal, par son enracinement dans un ensemble qui le dépasse. Il n'est qu'un moyen de progresser, c'est d'approfondir les grandes valeurs de la démocratie, de renforcer la capacité de l'homme à ne jamais s'incliner devant le fait établi, à ne pas succomber au fatalisme. [...]
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