Emmanuel Lévinas (1905-1995) est un philosophe né en Lituanie et naturalisé français en 1931. L'objet principal de sa réflexion est l'éthique. Pour lui, ce qui fonde l'homme dans son humanité, c'est sa responsabilité envers autrui, responsabilité à laquelle il donne un sens très large puisqu'il va jusqu'à considérer que l'homme est responsable des fautes d'autrui. Il est important de relever combien son expérience au cours de la seconde guerre mondiale et l'extermination de sa famille par les Nazis ont fortement marqués sa pensée, et nous verrons à ce propos dans le Temps et l'Autre que sa conception de la mort est sans doute intimement liée avec le génocide organisé pas les Nazis durant la seconde guerre mondiale.
La pensée de Lévinas se rencontre au carrefour de la phénoménologie et de la philosophie existentielle. Elle questionne les fondements de l'ontologie pour présenter l'humanisme comme «lieu éthique» de la transcendance.
(...)
Lévinas a retranscrit quatre de ses conférences données au collège philosophique en 1946-1947 dans le recueil Le Temps et l'Autre publié en 1983. Il traite des préoccupations que seront au cœur de sa réflexion tout au long de sa vie : le sujet et sa relation avec autrui. Dans les deux premières conférences il expose sa conception du sujet : sa naissance, sa solitude, et ses tentatives pour sortir de cette solitude.
Nous allons étudier la troisième conférence dans laquelle Lévinas définit sa conception de l'Autre. La question qui l'interpelle et qui est au centre de son œuvre est celle qu'il pose dans la préface: « Le temps est-il la limitation même de l'être fini ou la relation de l'être fini à Dieu ? » (p8)
[...] Pour Heidegger, la solitude ne peut être envisagée qu'au sein d'une relation préalable avec l'autre. Cette relation à l'autre ne serait pas une relation de "face à face", mais une association ( ) autour d'un terme commun, et plus précisément ( autour de la vérité. (p.19) Nous pourrions penser qu'une partie non négligeable de cette vérité partagée serait la réalité de la mort, "l'événement de la mort". Ainsi, il se pourrait que la solitude (emprunte) son caractère tragique non pas au néant, mais à la privation d'autrui que la mort souligne (p.18), et il serait alors possible de dépasser ce tragique de la solitude (et de la mort) par la socialité. [...]
[...] La protestation du sujet contre la mort qui le menace témoignerait encore de son égoïsme. Il faut se déposséder de soi, se déprendre de soi. Et le moment où cette totalité se brise correspond à l'apparition d'un visage, c'est à dire à Autrui. C'est pourquoi l'éthique, qui commence avec la mise en question de l'égoïsme du moi par autrui, offre au moi la seule véritable sortie de soi et de l'être. Le rapport fondamental de tout homme à autrui n'est pas celui d'un sujet à un autre sujet(opposition à la morale rationnelle kantienne), ni celui d'un sujet à un objet(opposition à l'attitude de domination dans les rapports humains), mais se caractérise comme rapport de transcendance. [...]
[...] Il substitue ainsi à la notion d'autonomie celle d'hétéronomie, car c'est la rencontre du visage de l'autre, à savoir le face-à-face, qui m'engage dans la responsabilité, dans la fraternité humaine Et ce n'est qu'en répondant à l'appel de cet autre, absolument autre, exposé à la violence, que l'éveil de la subjectivité se fait, sans que cela repose pour autant sur une décision du sujet. Subjectivité et responsabilité pour l'autre sont synonymes, et se caractérisent par une impossibilité de repos face à la souffrance d'autrui. Le philosophe conduit ainsi le lecteur à réfléchir sur le rapport éthique, sur la responsabilité afin que le moi soit vidé de son impérialisme et de son égoïsme. Pensée on ne peut plus actuelle au lendemain des traumatismes du XXème siècle. [...]
[...] C'est ainsi que Lévinas poursuit son analyse : La mort est insaisissable, elle marque la fin de la virilité et de l'héroïsme du sujet. (p.59) Mourir, c'est revenir à l'état d'irresponsabilité, c'est être la secousse enfantine du sanglot. (p.60). La mort est ce qui nous met dans cette position de l'enfant face à un monde qui lui échappe et dans lequel il ne peut pas agir, car il ne le maîtrise pas. Elle est ainsi ce qui réveille les larmes de l'enfance. [...]
[...] (p.66), et d'autre part du fait que nous considérons ces deux attitudes comme distinctes. En effet, on pourrait penser qu'être face à la mort consisterait à arracher une éternité à la mort (p.66), c'est-à-dire, que l'on ne pourrait être qu'en étant vivant éternellement, en ne mourant pas. Or, Levinas nous dit que cette situation, que l'on peut appeler la tentative de vaincre la mort (p.67), ne consiste pas à vivre éternellement, mais à permettre d'accueillir [la mort] (p.66). En effet, il le développera davantage dans la conférence suivante : Vaincre la mort n'est pas un problème de vie éternelle. [...]
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