C'est moins l'auteur lui-même qui est au premier plan du souvenir que le
« monde » vers lequel se porte un regard devenu nostalgique sous l'effet des
forces destructrices à l'oeuvre au moment où l'écrivain rédige son livre qui
s'achève avec « l'agonie de la paix » en 1939. Cette perspective explique que la
moitié de l'ouvrage soit consacrée à cette période que le premier chapitre
désigne par « Le Monde de la sécurité » : évocation de la Vienne et de la
monarchie austro-hongroise du tournant du siècle, vues par les yeux d'un fils de
la riche bourgeoisie ayant édifié sa personnalité dans cet univers de sécurité
matérielle et de foisonnement culturel dont il gomme, sciemment ou non, toutes
les aspérités sociales et politiques. Ses Mémoires retracent un itinéraire spirituel
placé sous le signe du cosmopolitisme et de l'utopie d'une « fraternité des
esprits » sur lesquels se constitue un pacifisme jamais abandonné. Le critère
servant à juger l'époque est celui de la liberté individuelle d'un Montaigne, valeur
garantissant l'indépendance de l'esprit.
Les chapitres sont ordonnés chronologiquement, mais constituent chacun
une unité indépendante, une sorte d'essai brossant le tableau d'une période ou
d'un phénomène du temps et montrant l'élaboration d'une personnalité spirituelle
par les expériences vécues. Ces pages sont donc émaillées de brefs portraits
(Theodor Herzl, Rilke, Rathenau) où l'on reconnaît l'auteur de grandes
biographies, d'évocations de rencontres ou d'amitiés décisives (Romain Rolland,
Emile Verhaeren, Henri Barbusse, Bertha von Suttner) , mais aussi de récits de
voyages (Paris des impressionnistes (« Paris, la ville de l'éternelle jeunesse,
Berlin des années 1920, Russie de l'après révolution).
Ces Souvenirs d'un Européen s'achèvent sur l'expérience ultime à
laquelle succombera en définitive leur auteur : l'exil, qui chasse et disperse
d'abord les représentants de cette communauté culturelle à laquelle Zweig
appartenait, bientôt suivis de millions d'autres fuyant, selon ses propres termes le
« brasier allumé par Hitler ». C'est bien de la fin d'un monde – qui coïncide avec
celle d'une vie, puisque Zweig se suicide – qu'il s'agit ; les titres des trois derniers
chapitres sont à cet égard significatifs : « Soleil couchant », « Incipit Hitler »,
L'agonie de la paix ».
[...] 1887-1900 : Zweig fréquente l'école primaire, puis secondaire pour laquelle il n ‘éprouve qu' ennui et dégoût Il écrit déjà des poèmes, dont certains sont publiés dans des revues. Il obtient son baccalauréat (matura) en 1900 1900-1914 : une vie d'intellectuel européen que lui permet sa qualité de second fils (le second fils, dans la tradition bourgeoise, se devant d'obtenir un doctorat, quel qu'il soit) ; intense activité de traducteur, doctorat sur Taine. Premiers contacts avec Herzl, Schnitzler, Rolland, Freud. Rencontre Jaurès. [...]
[...] un effet sournois : l'engourdissement des consciences. L'invasion de l'Autriche par l'Allemagne est suivie d'un déferlement de violence et de barbarie. Ce déferlement continu de violence, outre ses effets physiques directs, a un effet plus sournois, l'engourdissement de consciences lassées de tant de brutalité. Zweig choisit les anecdotes qui témoignent de la pénétration de l'antisémitisme jusque dans les moindres aspects de la vie quotidienne : ainsi sa mère, alors âgée de quatre-vingt quatre ans n'est pas autorisée à garder son aide-soignante, ou encore n'a pas le droit de s'asseoir dans le bus. [...]
[...] Zweig, pacifiste et cosmopolite de la première heure ? Si je ne succombai pas moi-même à cette subite ivresse patriotique, je ne le dus nullement à une lucidité ou à une clairvoyance spéciales, mais au genre de vie que j'avais mené jusque-là [ ] De plus, j'avais trop longtemps mené une existence cosmopolite pour pouvoir haïr du jour au lendemain un monde qui était le mien au même titre que ma patrie.[ ] J'étais donc en quelque sorte vacciné par la défiance contre l'infection de l'enthousiasme patriotique, et, prémuni comme je l'étais contre cet accès de fièvre de la première heure, je demeurai bien résolu à ne point me laisser ébranler dans ma conviction qu'une union de l'Europe était nécessaire par une lutte fratricide qu'avaient déchaînée des diplomates maladroits et des fabricants de munitions brutaux. [...]
[...] La petite troupe d'assaut ne pouvait plus être rattrapée 8. Cette appréhension progressive du phénomène fasciste nous permet de nous replacer dans le contexte de l'époque, et de mieux comprendre comment de tels régimes ont pu s'implanter en Europe. Il est frappé aussi par l'agitation politique qui règne alors, perceptible notamment à travers une grève ouvrière à laquelle il assiste. Ce climat d'agitation politique et ces cultures politiques violentes laissent présager le pire, et pourtant, l'aveuglement est général : quelle importance, en effet, pouvait bien avoir un tel petit groupe ? [...]
[...] Son amitié privilégiée avec Verhaeren et Romain Rolland favorise l'émergence d'une conscience européenne transnationale. Dès les années 1920, en France, Zweig est reconnu dans ce rôle, on parle de lui comme d'un Européen qui facilite les communications intellectuelles entre les peuples par des traductions et des essais critiques LE MONDE D'HIER : RECIT DE VIE ET ANALYSE D'UNE SOCIETE EN DECLIN Nouvelles littéraires, 28avril PRESENTATION GENERALE . a. Souvenirs d'un européen le récit C'est moins l'auteur lui-même qui est au premier plan du souvenir que le monde vers lequel se porte un regard devenu nostalgique sous l'effet des forces destructrices à l'œuvre au moment où l'écrivain rédige son livre qui s'achève avec l'agonie de la paix en 1939. [...]
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