Ce débat entre expliquer et comprendre est ancien, il concerne à la fois l'épistémologie et l'ontologie. En fait le fond du problème consiste à savoir s'il y a une continuité entre les sciences de la nature et les sciences humaines. La compréhension revendique une spécificité des sciences humaines alors que l'explication renvoie à la thèse de non différenciation entre les sciences.
Dans le cas de la compréhension il y aurait un pluralisme des méthodes que la philosophie aurait à fonder. Elle s'appuie sur un dualisme épistémologique selon lequel l'ordre des signes est irréductible à l'ordre des faits soumis à des lois.
L'enjeu de cet article est de mettre en question la dichotomie qui assigne aux deux termes de compréhension et d'explication deux champs épistémologiques distincts. Pour cela il faut souligner la ressemblance de trois problématiques : celle du texte, de l'action et celle de l'histoire. L'enjeu est de montrer la dialectique fine qui unit ces deux concepts, c'est-à-dire de mettre en lumière le fait que loin de constituer des pôles qui s'excluraient l'un l'autre, ils peuvent être les moments relatifs de l'interprétation.
[...] La dialectique expliquer/comprendre se déploie à travers cette triple articulation entre texte, action et histoire. La sémiologie ne permet pas de dire que les procédures explicatives sont étrangères au domaine du signe et importées des sciences de la nature. De nouveaux modèles d'explication (de type structural) ont apparu qui sont du domaine des signes. La théorie de l'interprétation n'est plus naturaliste (tendant à reproduire la réalité de la nature) mais sémiologique (étudiant les systèmes de signes). Le modèle sémiologique s'est constitué en trois étapes : la conquête de sa base phonologique ; application au lexique des langues naturelles ; extension aux unités de discours plus vaste que la phrase (le récit par exemple) ; extrapolation du modèle au plan de systèmes complexes (le mythe, cf. [...]
[...] La condition de possibilité du discours est la distance infime qui se creuse entre le dire (le fait de dire quelque chose) et le dit (l'inscription de ce que j'ai dit). Le dit en effet demeure contrairement à l'acte de dire. Or la littérature exploite cette faille en donnant des indications qui guident la compréhension des phrases, elle utilise des codes. Or l'analyse structurale cherche justement à dégager ces codes narratifs. Ainsi le passage par l'explication est une médiation indispensable de la compréhension intersubjective. De l'explication à la compréhension : toute explication s'achève par une compréhension. [...]
[...] L'explication en retour développe analytiquement la compréhension. Ainsi le rapport sciences de la nature / sciences humaines est donc paradoxal : ni dualité ni monisme dit Ricœur. Il y a bien une continuité dans le sens où les procédures explicatives sont homogènes aux sciences de la nature et aux sciences humaines. Mais il y a une discontinuité insurmontable dans la mesure où la compréhension apporte une composante spécifique (compréhension des signes, des motifs de l'action et de la compétence à suivre un récit). [...]
[...] Il y a donc un lien de continuité logique spécifique, l'issue devant être à la fois contingente et acceptable. En histoire la compréhension s'obtient par focalisation successive entre l'anticipation d'une issue et la correction de cette anticipation. La théorie intropathique néglige la spécificité de l'élément narratif. Mieux vaut donc une compréhension qui s'appuie sur l'élément narratif car elle permet de rendre compte du passage de la compréhension à l'explication. L'explication vient alors comme un prolongement de la compréhension entendue comme mise en œuvre de la compétence de suivre un récit et ne lui fait ainsi pas violence. [...]
[...] La théorie de l'action en est un autre. Elle connaît une aporie similaire en ce qui concerne le problème expliquer/comprendre (Wright). Avec la théorie des jeux de langage (Wittgenstein) on a été amené à séparer les événements de la nature, des actions faites par les hommes : les événements naturels utilisant un lexique différent (cause, loi, explication), ils ne sont pas dans le même jeu de langage que les actions humaines. Cette tache de séparation des différents jeux de langage est celle de la philosophie. [...]
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