Qu'est-ce donc que le public, cette figure que les auteurs et leurs commentateurs citent ou invoquent régulièrement aujourd'hui, mais aussi au cours des siècles qui nous ont précédés ? Tel est le point de départ de la réflexion d'Hélène Merlin-Kajman, dans Public et littérature en France au XVIIème siècle . Elle choisit, par là, de s'interroger sur une notion qui semble évidente : le public, récepteur de l'œuvre d'un artiste, récepteur pour lequel cet artiste a créé. Cette vision restreinte du public relève en fait de la « fiction centrale d'un public classique à la fois commanditaire, destinataire et consommateur des discours et des textes », le public serait une élite homogène comme l'a écrit Jean-François Lyotard (cité par Hélène Merlin-Kajman), pour qui les œuvres de Corneille étaient destinées à un « groupe culturel précis », le public de Corneille serait ainsi déterminé, en particulier par des attentes et des goûts communs. Or, ce que nous propose Hélène Merlin, c'est d'aller au-delà de l'évidence d'un public déterminé, celle-ci étant liée au fait qu'aujourd'hui on entend le mot de public en un sens plutôt restreint.
L'enjeu de cet ouvrage sera donc de redéfinir cette notion trop évidente de public dans le contexte du XVIIème siècle au regard de tous les faisceaux dont elle a pu être éclairée. Pour cela Hélène Merlin-Kajman, reprend différentes thèses portant sur cette question mais en démontre les limites, on peut citer par exemple sa critique de l'analyse de Jürgen Habermas dans Public et sphère publique bourgeoise. S'il faut reconnaître, selon Hélène Merlin, la valeur de cette étude il faut aussi en saisir les limites : elle reproche, en effet, à Habermas de n'envisager la « sphère publique structurée par la représentation », qui correspond au public du XVIIème siècle, que dans une visée téléologique menant à la « sphère publique bourgeoise » qui est son principal sujet d'étude, et de délaisser, par conséquent, l'origine et la fonction littéraire de ce mot, oubliant le « poids de sa mémoire sémantique ». Cette mise à jour des failles existant au sein de certaines analyses permet d'abord à Hélène Merlin de dire ce que n'est pas le public du XVIIème : cette négation en recouvre plusieurs, elle permet de nier des considérations anachroniques qui ont tendance à analyser ce public à travers le prisme du 18ème, siècle qui a déjà resserré le champ significatif de la notion, ou incomplètes qui considèrent le public comme seulement littéraire, par exemple.
[...] La querelle autour de La princesse de Clèves sur laquelle se penche aussi Hélène Merlin reprend certains de ces sens, un public-critique, composé de gens de la cour, de personnes publiques donc, remettant en cause la vraisemblance de l'œuvre plus que ses qualités littéraires, se confronte, entre autres, à un public mystique qui fait fi de la vraisemblance au nom du merveilleux dans lequel le lecteur se laisse emporter, ils sont sous le charme du roman les adversaires s'affrontent eux aussi au nom du public, mais d'un public multiforme. Au final, Hélène Merlin ne nous donne pas la définition du public au 17e siècle, mais ce n'était pas forcément son but, dans le sens où elle cherchait d'abord à étudier cette notion dans toutes ses acceptions. Elle dévoile le faisceau de sens que la notion contenait au 17e. [...]
[...] Dès lors, on voit que le public s'oppose moins à la multitude qu'au particulier, cependant le modèle ontologique du public continuera à fournir une référence aux pensées politiques, juridique et littéraire comme en témoigne le topo relevé par Hélène Merlin de l'auteur qui transmet son œuvre particulière à la sphère publique parce qu'un tiers l'a convaincu que cela serait d'utilité publique. La majorité de l'ouvrage est constituée par une analyse du public dans la sphère littéraire, dans les œuvres et dans les débats qu'elles suscitent, mais cela ne signifie pas que l'on y oublie la dimension politique de la notion, au contraire, selon le principe de l'archéologie, Hélène Merlin dévoile au sein même des textes littéraires les différentes strates de sens qui composent la notion de public, ceci permettant d'expliquer certaines contradictions. [...]
[...] Ce travail, qui part du champ littéraire, se trouve donc placé au carrefour de différents domaines pour dévoiler le sens pluriel de/du public. Cette décision est à la fois un choix méthodologique qu'Hélène Merlin justifie par sa volonté de démontrer que la définition d'un public littéraire au XVIIe siècle n'est pas une évidence, mais c'est aussi une conséquence de ce choix : pour remettre en cause l'évidence il ne suffit pas de montrer que le terme est employé dans d'autres champs que celui de la littérature, mais aussi de chercher à comprendre comment ces domaines qui semblent si divers se sont trouvés réunis dans un même terme : ce n'est pas un hasard si le mot de public désigne aussi bien l'Etat, par exemple, que le récepteur d'une œuvre littéraire, tel est ce que veut aussi nous faire sentir Hélène Merlin-Kajman. [...]
[...] Tel est le point de départ de la réflexion d'Hélène Merlin-Kajman, dans Public et littérature en France au XVIIe siècle[1]. Elle choisit, par là, de s'interroger sur une notion qui semble évidente : le public, récepteur de l'œuvre d'un artiste, récepteur pour lequel cet artiste a créé. Cette vision restreinte du public relève en fait de la fiction centrale d'un public classique à la fois commanditaire, destinataire et consommateur des discours et des textes le public serait une élite homogène comme l'a écrit Jean-François Lyotard[2] (cité par Hélène Merlin-Kajman), pour qui les œuvres de Corneille étaient destinées à un groupe culturel précis le public de Corneille serait ainsi déterminé, en particulier par des attentes et des goûts communs. [...]
[...] C'est en cela que sa démarche nous intéresse du point de vue de l'histoire des idées, non pas, si on reprend sa démarche dans le champ de la philosophie, pour comprendre comment fonctionne un système, mais pour saisir l'évolution des concepts par exemple. Nous sommes invités par Hélène Merlin-Kajman à demeurer dans une continuelle interrogation, et à chercher des réponses au sein de tous les champs de connaissance qui sont à notre portée, c'est-à-dire à rejeter les distinctions supposées entre les différents domaines de recherche afin de ne pas envisager l'étude d'une notion de manière incomplète et par conséquent quelque peu faussée. [...]
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