Critique littéraire, universitaire, essayiste, romancier et philosophe : malgré ses nombreuses casquettes, George Steiner se définit plutôt comme un « maître à lire » que comme un intellectuel. Ce professeur de lettres de l'Université de Genève possède un parcours atypique puisqu'il a commencé sa carrière en tant que journaliste pour The Economist à Londres, après un diplôme en lettres, sciences physiques et mathématiques à l'Université de Chicago en 1949. Né en 1929 de parents juifs viennois, son éducation l'amène dès son plus jeune âge à s'intéresser aux grands textes classiques, en commençant par L'Illiade, que son père lui fait lire en version originale à six ans. Auteur d'une vingtaine d'essais et autres publications, Steiner centre sa recherche philosophique autour des rapports entre l'art et la réalité, le langage, la religion et les notions de Bien et de Mal.
En 1974, il donne une série de conférences radiodiffusées sur les mythologies de la société moderne dont les textes sont publiés en 2003 dans un ouvrage intitulé La nostalgie de l'absolu. Cet essai aborde la question de la quête éternelle de transcendance (définie comme une élévation suprême de l'esprit, au-delà de toute expérience possible) de l'homme, avec comme point de départ le vide laissé par le déclin des religions traditionnelles auxquelles se substituent à partir du XIXe siècle de grands mouvements de pensée révolutionnant l'histoire, tel que le marxisme, la psychologie freudienne et l'anthropologie de Lévi-Strauss, mais aussi une vague de « cultes de la déraison », caractéristique de notre époque, couvrant un spectre allant de l'ufologie à la méditation zen. L'ensemble des ces « métacultes » donnent lieu à une réflexion plus globale sur la transcendance et, dans son optique, le recours indispensable aux mythes dans la société contemporaine, qui ne sont pas sans danger pour cette dernière.
[...] Il est vrai que le principe de l'entropie (épuisement irrémédiable de l'univers, qui met à mal le sentiment de vie éternellement possible de l'humanité), ou plus proche de nous le débat virulent sur les finalités des manipulations génétiques mettent à jour le danger que peut représenter la science pour l'homme. C'est en réponse à ce risque qu'émerge une nostalgie de l'innocence incarnée par l'abandon de l'Homo Sapiens au profit de l'Homo Ludens, dans une recherche d'identité, de sentiment de communauté pour éviter le suicide social Mais pour Steiner une telle régression est inenvisageable car l'homme occidental est par nature un carnivore passablement cruel fait pour aller de l'avant et franchir des obstacles Alors qu'il analyse en profondeur les différents systèmes de compréhension de la nature humaine élaborés par l'homme depuis l'Antiquité, l'auteur de La nostalgie de l'absolu conclut, de façon relativement pessimiste, sur l'échec de l'ensemble de ces mythologies et fait de l'absolu une fin en soi plutôt qu'un instrument de l'accomplissement de la conscience de l'homme. [...]
[...] La nostalgie de l'absolu, Georges Steiner Critique littéraire, universitaire, essayiste, romancier et philosophe : malgré ses nombreuses casquettes, George Steiner se définit plutôt comme un maître à lire que comme un intellectuel. Ce professeur de lettres de l'Université de Genève possède un parcours atypique puisqu'il a commencé sa carrière en tant que journaliste pour The Economist à Londres, après un diplôme en lettres, sciences physiques et mathématiques à l'Université de Chicago en 1949. Né en 1929 de parents juifs viennois, son éducation l'amène dès son plus jeune âge à s'intéresser aux grands textes classiques, en commençant par L'Illiade, que son père lui fait lire en version originale à six ans. [...]
[...] Ainsi définie par Steiner, la mythologie peut avoir des déclinaisons diverses. Steiner en évoque trois : la version religieuse, la version mystique et enfin la version politico-dialectique La première, la théologie, a dominé la pensée occidentale de longs siècles durant, jusqu'à ce que les hérauts de la modernité enclenchent sa décomposition : le rationalisme scientifique de la renaissance, le sécularisme des lumières ou encore le darwinisme et la révolution industrielle, qui ont rendu obsolètes les croyances, ont fait perdre aux Eglises leur place centrale Ce déclin des systèmes religieux traditionnels (comprendre le christianisme), qui structuraient la vision occidentale de l'identité de l'homme et de notre fonction dans le monde, dont les pratiques et le symbolisme avaient si profondément envahi notre quotidien créent un vide de sens, d'identité, que Steiner appelle la nostalgie de l'absolu : comme jamais auparavant, nous avons soif de mythes, d'explication totale et de prophétie garantie Ce vide est vite comblé par de nouveaux mouvements de pensée prétendant à la scientificité pour récupérer l'autorité dont disposait l'Eglise : ces pseudo-sciences que sont, selon Steiner, l'anthropologie, le marxisme et la psychanalyse disposent de l'attirail et du langage d'une science exacte, mais n'en ont pas la substance. [...]
[...] Ces trois catégories ont comme point commun un dualisme corps-esprit sommaire qui n'envisage l'accomplissement de la condition humaine que pour l'intervention d'une force mystique extérieure. Les cultes orientaux, par exemple, idéalisent des valeurs de passivité (méditation, contemplation) en opposition à l'activisme des valeurs occidentales prônant le vouloir et l'analyse rationnelle et logique. Pour Steiner, ces nouveaux cultes relèvent de réflexes de peur et de compensation de la sensibilité occidentale, blessée par les traumatismes du XXe siècle. Ils dissimulent les craintes infantiles d'insécurité et le désir de secours surnaturel, exprimés dans toutes les mythologies. [...]
[...] Lévi-Strauss, lui, prolonge sa conception de la catastrophe originelle par le mythe apocalyptique de la vengeance de l'homme civilisé. Colonisation, exploitation et massacres de populations autochtones, dévastation d'écosystèmes, éradication de langues et de cultures ethniques, exportation de maladies, de modèles institutionnels inadaptés : possédés par quelque fureur archétypique d'avoir été exclus du Paradis, nous avons écumé la terre à la recherche des vestiges de l'Eden et, chaque fois que nous en avons trouvé, les avons ravagés Au-delà de l'élaboration d'une vision prophétique, Steiner insiste également sur les racines juives de ces doctrines. [...]
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