Lorsqu'il est publié pour la première fois en 1872, le premier livre de Nietzsche, qui est en fait la publication de sa thèse de philologie, crée un effet de surprise considérable. On ne s'attendait pas, de la part de cet étudiant prometteur, à un livre si peu conventionnel, qui par son style flamboyant autant que par sa critique virulente, scandalisa. Dans "La Naissance de la tragédie", Nietzsche dépeint l'âme d'un peuple, les Grecs, pour lequel il s'est passionné. Il y étudie également le cas de la tragédie et de son évolution. Enfin, il retrace parallèlement à cela la généalogie des valeurs de la société socratique qui constitue le socle de notre propre société.
Revenant sur sa première oeuvre, Nietzsche écrit dans Ecce Homo : « on n'y a vu qu'une nouvelle formule de l'art, du dessein, du devoir wagnériens, et on n'a pas aperçu ce que mon ouvrage cachait au fond de précieux. « Hellénisme et Pessimisme » eût été un titre moins ambigu, puisque l'ouvrage traitait (...) de la façon dont les Grecs avaient réglé la question du pessimisme, de la façon dont ils l'avaient vaincu... »
La question du pessimisme, introduite à Nietzsche par sa lecture de Schopenhauer sept ans plus tôt, est donc fondamentale. Dans "Le Monde comme Volonté et comme Représentation", Schopenhauer révèle une philosophie profondément pessimiste, présentant la vie comme une suite de souffrances, où l'homme doit sans cesse lutter contre des désirs pernicieux qui s'expriment en lui par le biais d'une Volonté universelle et immuable. Nietzsche, influencé par cette idée, décidera au contraire de montrer que le pessimisme tragique n'a pas forcément une valeur négative mais peut, au contraire, être un « stimulant à la vie ».
De cette problématique découlent trois questions essentielles: Comment « le phénomène dionysiaque » s'est-il manifesté dans la société grecque et quel est son lien avec la métaphysique ? Comment Socrate détruisit-il la tragédie et par là-même se fit « l'instrument de la décadence grecque » ? Comment Nietzsche, par l'étude de « la psychologie du poète tragique » montre-t-il que le pessimisme de la force peut être l'expression d'une affirmation de soi, d'une « volonté de puissance », autant que d'une profonde tendance « anti-morale » ?
[...] Pour Nietzsche en effet, on pourrait dire que l'art possède une fonction vitale, l'art est la plus saine des activités dans le sens où elle stimule la vie. Ainsi, Nietzsche déclare : l'art n'est pas seulement une imitation de la réalité naturelle, mais bien un supplément métaphysique de cette réalité, placé à côté d'elle afin de la surmonter. L'artiste tragique, homme supérieur, affirme l'absence de crainte devant ce qui est terrible et incertain Il se doit de communiquer cet état en lui donnant une résonance universelle. [...]
[...] Pour Nietzsche au contraire, c'est à nous de la construire. Chez Socrate, la tendance apollinienne a été caricaturée, elle s'est momifiée en schématisme logique alors que la tendance dionysiaque a tout bonnement disparu. Il s'agit alors d'un véritable combat de la raison lumineuse contre l'obscurité dionysiaque, de la glorification de l'intellect contre celle des pulsions. Nietzsche, en bon disciple de Dionysos (comme il le déclare dans la Naissance de la Tragédie et le répète dans son essai d'autocritique est donc anti-dialecticien dans la mesure où cette méthode, telle qu'elle est utilisée par les disciples de Socrate, s'oppose fondamentalement à la sagesse du poète tragique et à la jouissance de ses désirs. [...]
[...] crépuscule des idoles) La Naissance de la tragedie est un livre marqué par son époque. Le concept de décadence s'inscrit, dans une certaine mesure, dans l'esprit fin de siècle qui règne en Europe pendant la jeunesse de Nietzsche. Parallèlement au sentiment d'une dégénérescence sociale, politique et artistique s'accroît la foi de la toute-puissance de la raison et dans le progrès. C'est cette croyance, issue du socratisme, qui est responsable, pour Nietzsche, de la dégénérescence actuelle de l'art autant que de la décadence et de la perte de l'esprit tragique grec. [...]
[...] Selon Nietzsche, la volonté n'est pas seulement acceptation d'une situation donnée mais surtout lutte dynamique et créatrice de nouvelles valeurs. Le lion figure quant à lui la volonté qui refuse tout assujetissement et qui nie toutes les valeurs communément admises. Ce refus catégorique, cette forme de nihilisme n'est que faiblesse car stérile et inapte à créer. L'enfant, la dernière métamorphose de l'esprit, symbolise l'innocence et l'oubli il est renouveau et donc ignorant du monde. Alors que pour Socrate l'ignorant correspond au mauvais, à l'erreur, Nietzsche voit dans la figure de l'enfant un esprit libre, léger, délivré des fardeaux du passé. [...]
[...] Il n'y a alors plus que ce terme qui est emprunté à Schopenhauer car la volonté, selon Nietzsche est une force que l'on peut maîtriser, et non un courant qui s'exerce arbitrairement. L'attitude du poète dionysiaque, Ce oui suprême, ce oui joyeux dit à la vie, ce oui le plus exubérant, le plus impétueux de tous, ne correspond pas seulement à l'attitude la plus haute, mais encore à l'intelligence des choses la plus profonde Peut-être pourrait-on conclure en évoquant l'importance du rire et du délire dans l'expérience de ce pessimisme de la force. [...]
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