Dans l'imaginaire, un brin réducteur, d'une vieille Europe face à ce nouveau monde
américain, le Far-West, au nom évocateur de lointains infinis, n'est qu'un rêve de grandes
conquêtes et d'un mythe américain se réalisant en convois de chariots perdus dans les Big
Black Rocky Mountains, accompagnés de cow-boys placides et d'Indiens farouches…Bref,
une vision construite et propagée à grands coups de western de série B et de recherches
d'ancêtres en Stetson. Et pourtant, voilà ici un vrai choc des civilisations : nous sommes
absolument incultes en « matière d'Indiens » ; cela est-il donc si honteusement dérangeant de
devoir considérer ce peuple comme une civilisation à part entière, simplement et radicalement
décimée par l'appropriation arbitraire, effectuée par des colons d'Europe, d'un territoire
américain non plus vierge, bien au contraire, mais habité et mis en valeur par différents
peuples ? Car les Indiens sioux forment une civilisation avec ses propres traditions et rites, sa
compréhension et son symbolisme particuliers du monde – tout cela considéré comme un
objet d'exotisme un rien amusant, mais surtout potentiellement dangereux pour les hommes
blancs…A moins d'être tout simplement niés, donc éradiqués par la grande vague de
défrichement de ce nouveau terrain de jeu qu'est pour «l'homme blanc » le continent
américain depuis sa « découverte » par la civilisation occidentale, toutes nations confondues.
C'est un peuple sur le déclin que nous présente Tahca Ushte (Cerf Boiteux en lakota)
dans ce livre : lui est un voyant-guérisseur, de la tribu des Hanches Brûlées, né avec le siècle,
bercé dans son enfance par des traditions sioux encore vivaces, et qui assistera à la lente
agonie de sa nation ; alors qu'en marge, les Etats-Unis accèdent, tout au long du XXème
siècle, aux premières places mondiales. Le récit oscille entre remémorations du temps passé et
confidences à valeur ethnographique, dans les années 1970, de ce chef sioux ; on peut donc
l'inscrire dans le grand mouvement de revendication des minorités qui caractérise cette
époque aux Etats-Unis. Ces propos sont recueillis par un journaliste américain, militant pour
la reconnaissance des droits des Indiens, dans une Amérique balançant entre flower-power
d'une jeunesse chevelue et crise d'une guerre embourbée au Vietnam. Une quinzaine de
chapitres présente les principaux rites sioux, un monde de symboles, parfaitement défini
jusque dans ses moindres détails, une vision originale où Nature et êtres vivants ne font qu'un
dans une communion harmonieuse avec le Grand Esprit, Wakan Tanka. Et si cette vision
paraît parfois très fleurie (car oui, le côté fumeur-hippie de Woodstock est bien là), elle n'en
est pas moins ancestrale, violente et crue : c'est donc un regard particulier, parfois déroutant,
parfois dérangeant, mais surtout marquant par sa complexité et son élaboration.
Trois grands axes se dégagent de ce livre, qui permettront de structurer cette fiche :
-les relations homme blanc/homme rouge, entre incompréhension, violence et désir de
paix ;
-l'organisation du monde sioux, à travers sa symbolique des couleurs et des animaux,
la place de l'homme rouge au sein de la nature et des autres créatures, la société sioux et ses
règles de vie, ses personnages typiques ;
-la description et le déroulement des principaux rituels et danses, et leur inscription
dans la vie quotidienne et spirituelle.
[...] Son regard reste toujours décalé, non dénué d'humour, et c'est sans doute cette vision si particulière, à la fois optimiste et pourtant profondément lucide quant à la marche du monde, qui fait tout l'intérêt et toute la portée réflexive de ce livre. CHAPITRE TROIS : LA PEAU DE GRENOUILLE VERTE. La peau de grenouille verte symbolise pour les Indiens le dollar de l'homme blanc. La notion d'argent est en effet absente du monde indien, qui fonctionne surtout par partage et donation. [...]
[...] Ce qu'il y a de bien, à se trouver au sommet du Mont Rushmore, remarque Tahca Uhste, entre ironie et amertume, C'est que c'est le seul endroit dans les parages d'où l'on ne peut pas voir ces grosses têtes. Cette montagne, sacrée pour les Indiens comme pour les Américains –chacun suivant sa propre vision du lieu- devient alors le signe même de l'impossible communication entre ces deux civilisations, alors que chacune s'est pourtant choisi le même espace comme symbole d'union de sa population. II UN MONDE DE SYMBOLE. De la naissance à la mort, nous, Indiens, sommes pris dans les plis des symboles comme dans une couverture. [...]
[...] Le cercle marque le rassemblement autour du feu de camp, en toute paix et tranquillité, et représente la nation sioux, par le dessin de sept cercles enchâssés l'un dans l'autre. Enfin, le cercle, qui se répand éternellement et ne connaît pas de fin, est synonyme d'apprivoisement de la mort. A l'inverse, le symbole de l'homme blanc est le carré, le cadre, représentatifs de son monde géométrique et droit, à l'instar des portes, des appareils ménagers, des routes ou des billets de banques. [...]
[...] C'est l'un des très rares rites où l'on sacrifie un animal, un jeune chien bien gras que l'on mange une fois le rite accompli ; ce n'est absolument pas un acte gratuit ou purement alimentaire : le chien meurt pour que l'homme puisse vivre en absorbant sa chair (l'idée de cycle et de liens entre tous les êtres vivants est par-là même de nouveau exprimé). Ce rite se déroule dans une salle où l'obscurité est complète, et où de nombreuses personnes, pour y prendre part, peuvent s'asseoir en cercle. Le sol est à nouveau recouvert d'herbes aromatiques, surtout de sauge. [...]
[...] Les principales qualités du voyant-guérisseur honnête sont l'humilité face aux esprits, la simplicité dans la démarche, la modestie et la discrétion lors d'une guérison réussie. On croit par ailleurs fermement que quiconque utilise son talent de voyant à de mauvaises fins se verra d'une manière ou d'une autre puni. Enfin, jamais une femme en période de menstruation et un voyant ne doivent se rencontrer, la confrontation de leur pouvoir respectif pouvant conduire au pire pour l'un comme pour l'autre. La médecine sioux, suivant en cela le principe d'organisation d'ensemble de ce monde, regroupe ainsi à la fois des données très rationnelles de soins par les plantes et les breuvages, et un grand besoin de mystères et de communion avec le monde mystique des esprits. [...]
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