Bernard de Mandeville, né aux Pays-Bas, s'était établi à Londres comme médecin, se spécialisant dans les maladies nerveuses. Il exercera ainsi la médecine jusqu'à sa mort, en même temps que sa carrière philosophique et littéraire.
Celle-ci se concentre essentiellement sur La fable des abeilles qui connut au deuxième quart du XVIIIème siècle, tant en Angleterre que sur le continent, un véritable succès de scandale. La première édition de la fable publiée en 1705 sous le nom de « La ruche mécontente » passa inaperçue. Ce ne fut qu'en 1723, lorsque Mandeville ajouta l'essai sur la charité et les écoles de charité ainsi qu'une série de remarques entraînant une condamnation par le Grand jury du Midlesex, qu'on prêta véritablement attention à l'œuvre en elle-même.
Le sous-titre de la fable « Vices privés, bénéfices publiques » résume rapidement l'argument du poème : une ruche, miroir de la société humaine, vit dans « le confort et le luxe ». Mais certaines abeilles aspirent à l'honnêteté. Jupiter décide alors de les exaucer. La ruche, devenue moralement irréprochable, bascule alors dans l'inactivité, la pauvreté, l'ennui. La population se réduit et le pays devient la proie de l'étranger. Les « vices » dont se plaignaient les abeilles étaient les ressorts mêmes de la prospérité, de la puissance et du bonheur communs.
[...] En témoigne pour cela les manuels de science politique dans lesquels l'entrée Mandeville est bien souvent introuvable. En fait, on a surtout retenu la dimension économique de la fable. Mandeville dresse le tableau d'une société où les hommes sont opportunistes et cherchent avant tout la satisfaction de leurs propres intérêts, au mépris de la vertu et de la morale. Ainsi les avocats sont-ils des voleurs car ils cherchent les failles de la loi pour sauver leurs clients comme les voleurs cherchent les failles d'une banque pour s'y introduire. [...]
[...] La pensée libérale s'est construite autour, mis à part le libéralisme économique étudié précédemment, d'une conception individualiste moderne de l'homme et des rapports entre les hommes à l'intérieur de la société. Dans ce sens, la Fable des abeilles ne doit pas être réduite à son aspect économique. Au fond, son apport le plus essentiel se situe dans le domaine de la philosophie politique, en développant une conception nouvelle de l'individu s'opposant radicalement aux doctrines ascétiques des théologiens en vigueur, une doctrine du mépris pour le monde et sa richesse, selon laquelle toutes les passions naturelles sont mauvaises (Leslie Stephen). [...]
[...] Sans vanité et goût pour le luxe, on consommerait moins (remarque et produirait donc moins. Mandeville affirme même qu'aucune société ne vit au niveau de subsistance, pas même parmi les sauvages nus De même, Mandeville montre que la prodigalité des gens vicieux est nécessaire : le libertin dépense son argent dans les jeux, l'alcool et les femmes au lieu de l'épargner. Cet argent sera ainsi à nouveau dépensé, encourageant l'activité économique. Au fond, ce que défend là Mandeville c'est le principe de circulation monétaire cher à Keynes. [...]
[...] Dans sa Recherche sur la vertu morale, Mandeville inscrit cette séparation entre la moralité (la définition de la vertu et des vices, les passions constitutives de l'homme) et la religion. Séparation insaturée par le fait que la vraie moralité est commune à des civilisations qui diffèrent profondément en matière de religion. Ainsi Louis Dumont conclue-t-il en affirmant que la religion est expulsée, évacuée, des affaires des hommes L'homme et plus spécifiquement l'individu, et non plus Dieu ou la religion, est ainsi replacé au centre de la réflexion philosophique: ni des juifs, ni des chrétiens mais l'homme pur dans l'état de nature et dans l'ignorance de la divinité Dans ce sens, Mandeville préfigure l'avènement d'une société des individus (Elias) qui va s'épanouir dans la seconde moitié du XVIII sous l'impulsion des lumières notamment. [...]
[...] Mandeville ne conçoit pas l'homme comme un être malhonnête, voire diabolique, recelant tous les vices existants. Pour lui, l'individu est cet être égoïste qui est mû par l'amour propre ou l'orgueil (Rousseau établira lui la distinction, l'orgueil valant pour la vie en société), passion à laquelle toutes les autres sont soumises. En fait, avec la fable, l'égoïsme des individus perd sa réputation détestable pour devenir une motivation naturelle et légitime de l'individu attaché à la seule poursuite de ses intérêts propres. [...]
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