Si Jürgen Habermas n'a pas appartenu à la constellation historique des fondateurs de l'Ecole de Francfort, il en est pourtant l'héritier qui actualise l'enjeu et le fond de la « théorie critique ». Ce courant de pensée trouve son origine avec la création dans cette ville, au début des années 1920, d'un institut essentiellement axé sur la recherche sociologique, en marge de l'université, mais non sans relations avec elle. Cet institut va rapidement regrouper tous les penseurs d'Allemagne influencés par le marxisme, désireux de dépasser des simplismes trop pratiqués concernant la société de leur temps et l'Histoire. Chassé par le nazisme, leurs travaux les plus importants furent publiés après 1940. Depuis un quart de siècle, J. Habermas a fait prendre un nouvel essor à la « théorie critique », qu'il s'est réapproprié, en lui donnant à certains égards une nouvelle jeunesse.
Né en 1929, sa carrière académique fut particulièrement brillante : assistant de T.W Adorno à l'âge de 27 ans, il enseigna ensuite la philosophie à Heidelberg jusqu'en 1964 puis la sociologie à Francfort de 1964 à 1971. Par la suite, il dirigea jusqu ‘en 1983 l'institut de recherche sociale Max Planck à Munich avant d'enseigner la philosophie et la sociologie jusqu'à aujourd'hui à l'Université de Francfort.
Dans ce recueil, composé d'études écrites entre 1963 et 1968, Habermas opère une lecture critique des effets du positivisme et du scientisme, considérés comme justification idéologique de la rationalité propre au capitalisme avancé, et en étant de nouveaux facteurs de domination. Il s'interroge sur les conséquences que peut avoir la rationalité scientifique sur la manière dont les individus se représentent la société dans laquelle ils vivent ; ainsi que sur les répercutions de cette rationalisation sur le fonctionnement de la démocratie, cela dans un monde ou l'information est devenue elle-même un produit de la technique. Habermas entend réconcilier la démocratie et la technique, et restaurer le dialogue entre ces deux mondes; ou, plus exactement remettre la technique et la science aux services des citoyens, afin qu'elle ne soient plus un instrument de domination.
[...] Toutefois sur bien des points, ces auteurs, tels J.Habermas, H.Marcuse ou bien encore J. Ellul ont vu juste, et ont anticipé la technicisation de pans entiers de notre existence. L'objectivation du corps humain dont parle Habermas dans cet ouvrage a été permise par les récents progrès de la génétique, et la société industrielle avancée a peu à peu rallié toutes les résistances à ses thèses, en même tant qu'un vaste mouvement de dépolitisation traverse les démocraties libérales. Mais, leurs critiques contre une telle société peuvent paraître quelque peu excessives. [...]
[...] Dés lors, il serait enfin possible d'opérer une synthèse entre science et démocratie, entre théorie et pratique. Mais comment enclencher ce processus ? Habermas en confie la tâche à certains étudiants et lycéens, qui selon lui présentent toutes les caractéristiques requises pour entrer en conflit avec le système, la dépolitisation des masses rendant toute révolte populaire impossible. De la même manière, Marcuse pense lui que seuls les exclus du système peuvent le remettre en cause : chômeurs, parias du Tiers Monde, mais surtout les guérilleros d'Amérique latine. [...]
[...] En effet, si domination il y le moins qu'on puisse dire c'est qu'elle soit beaucoup moins visible et contraignante que ne le furent les formes de domination par le passé. De plus, Habermas a certainement exagéré la scientifisation des décisions politiques, et il est tout aussi naïf de croire que les dirigeants ne jouent plus aucun rôle dans la prise de la décision que de penser qu'ils peuvent se passer de l'aide de techniciens dans la définition de leurs politiques. [...]
[...] Dans une telle optique, la politique est menée à disparaître et la démocratie est pensée comme une survivance. Le modèle décisionniste de Weber, qui avait réfléchi sur les évolutions de la société au 19ème siècle est à l'opposé d'une telle conception. Bien que les conditions soient différentes dans les années 1960, lorsque Habermas écrit La technique et la science comme idéologie et que l'on assiste à un développement croissant des secteurs rationalisés, à une scientifisation de la politique et des choix eux même, réduisant d'autant la marge de manœuvre des hommes politiques, les postulats du modèle technocratiques sont loin d'être réalisés. [...]
[...] La solution d'un problème humain passe par un mouvement d'allées et venues qui aboutit à une détermination progressive du problème et à une définition des solutions qu'il est possible de lui trouver. Surgit ainsi le problème de la communication entre le monde de la science et de la technique et celui de la décision politique. Il convient avant toute chose de s'intéresser au concept de raison, auquel Habermas accorde une place déterminante dans son ouvrage. Pour les Lumières, la raison était avant tout un instrument d'émancipation pour lutter contre le dogmatisme religieux et l'absolutisme. [...]
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