La conception de la technique qui domine la tradition occidentale est un instrumentalisme anthropologocentré : les techniques y sont conçues comme des prolongements des organes de l'homme naturel-culturel. La technique doit servir la survie de l'humanité et le libre exercice de cette activité symbolique propre à l'être humain. Pour Ellul, partout où il y a recherche et application de moyens nouveaux en fonction du critère d'efficacité, il y a Technique. Elle n'est donc définie ni par les instruments employés ni par son domaine d'action.
Le système technicien, écrit en 1977, est le deuxième volet d'un triptyque sur la Technique, le premier étant La technique ou l'enjeu du siècle (1954) et le troisième Le Bluff technologique (1988). Jacques Ellul est historien du droit de formation mais aussi sociologue, philosophe et théologien. Ceci qui explique qu'il place la Technique au cœur de la société, de la politique et de l'économie et, qui plus est, il l'évoque comme facteur déterminant du régime démocratique.
Dans son ouvrage, Le système technicien, Ellul développe une nouvelle conception de la technique et du progrès technique. La technique est un facteur déterminant de la société qui se développe sans aucun contrôle démocratique et forme à l'intérieur de la société le « système technicien ». C'est en cela que la Technique constitue la clé de la modernité et révèle une incapacité de la politique à enrayer le processus.
Quelle est la place de la Technique dans les démocraties modernes et quelle position de l'homme en découle au sein d'une société technicienne ?
[...] Ainsi, des recherches techniques du vingtième siècle ont été conditionnées et stimulées par le marché provoquant un essor industriel. L'économie peut soit bloquer le développement technique par défaut de puissance technique, soit empêcher l'application technique. Cependant, un système économique qui récuserait l'impératif technique est condamné. Ce n'est pas la loi économique qui s'impose au phénomène technique, c'est la loi du technique qui ordonne et oriente l'économie. Pour se techniciser, une société implique création de tout un ensemble d'organisations qui permettent le développement des techniques. [...]
[...] Le progrès technique produit des nuisances que seule la technique peut combattre, alimentant ainsi le progrès technique. L'auto-accroissement se nourrit aussi de la concurrence : dès qu'une voie de recherche est ouverte quelque part, une frénésie s'empare des chercheurs du monde entier. Cependant, la croissance technique a lieu d'abord dans les domaines du superflu, de l'inutile. Il n'y a donc pas d'innovation en fonction de l'intérêt vrai de l'homme. Les innovations sont apparues là où le système technique avait en lui-même sa raison de progresser. De plus, cette progression causale se fait en l'absence de finalité. [...]
[...] Feenberg ne la voit ni comme déterministe ni comme neutre. Il ne peut y avoir d'authentiques changements démocratiques et politiques sans une reconstruction de la technique, et inversement. Les sociétés modernes ont vécu de véritables crises vers la fin des années soixante, qui ont marqué un véritable tournant dans la confiance accordée aux experts. De cette période, une conception plus démocratique du progrès est apparue. Feenberg prend comme point de départ à son analyse le fait que la technique soit ambivalente et qu'il n'y a pas de relation univoque entre le progrès technique et la distribution du pouvoir. [...]
[...] Ellul, dans ces œuvres, appelle à une prise de conscience individuelle qui déboucherait sur des actions de type collectif. En effet, se conformant à la pensée de Marx, il est persuadé que c'est quand l'homme prend conscience qu'il n'a plus les moyens de lutter, qu'il commence sa révolte (Entretiens avec Jacques Ellul, Chastenet). Et, contrairement à son image de réactionnaire et technophobe, Ellul considérait la société moderne comme plus satisfaisante que toute autre. C'est donc au nom de ce qu'il pensait être la réalité et la vérité que, face au désordre établi il en appelait à une révolution d'inspiration libertaire. [...]
[...] Ainsi, l'Etat ne peut pas contrôler la Technique, car il devient aussi un agent technique. Il sera peut-être apte à mettre de l'ordre dans la confusion technicienne mais non pas à dominer et diriger celle-ci. Ce qui est en train de naître, pour Jacques Ellul, c'est un Etat technicien, c'est- à-dire un Etat ayant surtout des fonctions techniques une organisation technique et un système de décision rationalisé Ainsi, désormais, les choix techniques échappent complètement à la démocratie. Ils se situent délibérément en dehors. [...]
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