«La crise du monde d'aujourd'hui est essentiellement politique, et […] le fameux « déclin de l'Occident » consiste essentiellement dans le déclin de la trinité romaine de la religion, de la tradition et de l'autorité, et dans la dégradation concomitante des fondations spécifiquement romaines du domaine politique. » (p. 183) Ces quelques phrases permettent de saisir le fil conducteur d'Hannah Arendt dans La crise de la culture (Between past and future – 1961), un recueil d'articles parus à l'origine dans diverses revues américaines. Ces thèmes donnent une cohérence à cet ouvrage composé de huit exercices de pensée politique. L'essai qui nous intéresse ici, « Qu'est-ce que l'autorité ? », est précieux pour comprendre la pensée d'Hannah Arendt, dans la mesure où la crise de l'autorité est au cœur de la crise de la modernité. Après des distinctions conceptuelles, d'une part avec la force contraignante et la persuasion par l'argumentation, et d'autre part avec les tyrannies et les régimes totalitaires, Hannah Arendt explique en quoi la pensée grecque a influencé le concept romain d'autorité. L'autorité est une notion très vaste qui couvre différents domaines « pré-politiques » et politiques. Il est difficile de la remettre au goût du jour car, depuis l'époque des lumières, elle est perçue comme opposée à la raison et à la liberté. Or, Arendt essaye de relier l'autorité à la révolution, de préciser et même de redéfinir cette notion en l'épurant des connotations oppressives qui s'y attachent, car tout ce qui commande l'obéissance n'est pas autorité et c'est à tort que l'on assimile gouvernement tyrannique, gouvernement totalitaire et gouvernement autoritaire. Arendt s'est longuement penchée sur la difficulté des révolutions à s'institutionnaliser solidement et sur leur propension à déboucher sur le totalitarisme ou la contre-révolution. C'est pourquoi elle introduit le concept d'autorité, décisif pour garantir la pérennité de l'ordre républicain.
Nous étudierons en premier lieu la définition qu'Hannah Arendt donne de l'autorité, puis, plus brièvement, les distinctions qu'elle opère entre régimes autoritaires, totalitaires et tyranniques et enfin ce qu'elle désigne comme la « crise de l'autorité ».
[...] 158) Selon Hannah Arendt, autorité et fondation sont intimement liées. L'autorité reposait sur une fondation dans le passé qui lui tenait lieu de constante pierre angulaire, donnait au monde la permanence et le caractère durable dont les êtres humains ont besoin. L'acte de fondation est donc central sur le plan politique dans la mesure où il marque la délimitation de l'autorité. À Rome, l'autorité des vivants était toujours dérivée, [ ] de l'autorité des fondateurs. (p. 160) Ainsi, dans Pouvoir et Liberté, une approche de la théorie politique de Hannah Arendt (revue Étude, avril 1983), André Enegrén explique que si la fondation lie le politique dans l'espace, l'autorité le lie dans le temps en lui conférant un lest dans le passé, une dimension, non de hauteur, mais de profondeur. [...]
[...] Hannah Arendt insiste sur l'importance qu'avait cette fondation dans l'antiquité, surtout chez les Romains. Au cœur de la politique romaine, depuis le début de la République jusqu'à la fin de l'ère impériale, se tient la conviction du caractère sacré de la fondation, au sens où une fois que quelque chose a été fondé il demeure une obligation pour toutes les générations futures. (p.159). C'est à Rome que le mot "auctoritas" est apparu. Les hommes dotés d'autorité étaient les anciens, l'autorité des vivants était toujours dérivée de l'autorité des fondateurs, elle avait ses racines dans le passé. [...]
[...] En effet, le pouvoir correspond à l'aptitude de l'homme à agir et à agir de façon concertée. Pour Arendt, le pouvoir n'est jamais une propriété individuelle, il appartient à un groupe et continue de lui appartenir aussi longtemps que ce groupe n'est pas divisé. Lorsque que nous disons que quelqu'un est au pouvoir, c'est qu'il a reçu d'un certain nombre de personnes le pouvoir d'agir en leur nom. Ainsi, tout gouvernement repose sur l'opinion Si l'on a l'opinion contre soi, on a beau disposer du monopole de la violence rien de plus fragile que le pouvoir que l'on revendique. [...]
[...] L'autorité de l'homme d'État devrait provenir du fait qu'il soit spécialiste, comme l'équivalent politique d'un artisan. Arendt insiste aussi sur les mythes utilisés par Platon, comme celui de la caverne, et explique que ce dernier en faisait usage pour faire se conduire la multitude comme si elle connaissait la vérité. Il faut donc avoir recours à la fable pour forcer l'obéissance de ceux qui ne sont pas soumis au pouvoir de la raison, sans avoir effectivement recours à la violence physique. (p. [...]
[...] Les derniers expliquent l'essor des dictatures par la volonté de trouver un substitut à l'autorité, mais se trompent en identifiant violence et autorité. Il est donc nécessaire d'établir des distinctions structurelles entre les différents régimes en question. Hannah Arendt représente le gouvernement autoritaire par une figure pyramidale dont la source est en dehors de la structure gouvernementale. Chaque couche successive contient quelque autorité, et toutes les couches sont intégrées à l'ensemble et reliées entre elles. Il s'agit donc d'une structure hiérarchisée et fortement inégalitaire. [...]
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