Quelle est l'origine de la philosophie ? Pourquoi existe-t-il tant de doctrines différentes, si toutes tendent vers le vrai et la sagesse ? En 1885, Friedrich Nietzsche achève Par delà Bien et Mal, dans lequel il ôte les masques de la philosophie et de la morale, les exhibant comme de purs produits de nos instincts et de nos désirs. Dans le paragraphe IX de la première partie, intitulée Des préjugés des philosophes, il développe particulièrement cette théorie de la philosophie comme sémiologie des instincts et de la subjectivité la plus profonde, notamment au sujet des stoïciens, mais toujours avec ce respect teinté d'ironie qui lui est propre quand il s'agit de déconstruire l'argumentation de ses adversaires. Il isole en premier lieu le principe stoïcien prépondérant, qui est de « vivre en accord avec la nature », pour en dégager l'absurdité. En premier lieu, il montre l'absurdité de vouloir vivre en accord avec la nature, dont l'apathie et la léthargie sont antinomiques à la notion de vie, puis il aborde une problématique qui sera toujours présente au sein de sa pensée : la création du monde selon ses critères subjectifs. Comme tant de philosophes, les stoïciens ont crée le monde selon leur désir, sans égard au monde qui existe. La science maîtresse de Nietzsche, la psychologie est alors utilisée pour réviser nos préjugés, qui sont le fruit d'une philosophie erronée. Nietzsche développe ensuite cette notion de « tyrannie », car le stoïcisme est l'autotyrannie, mais aussi, parce que, comme dans toutes les philosophies accomplies, la philosophie veut tyranniser la nature, baigne donc dans l'illusion, sans en prendre conscience. C'est une illusion, car la nature ne saurait être altérée par l'arbitraire d'une philosophie, c'est ainsi que Nietzsche décèle dans la philosophie cet aspect négatif de la volonté de puissance, cette volonté de dominer et de changer par ses propres désirs le monde. On peut alors rapprocher cela du ressentiment, chaque doctrine sera le fruit d'un ressentiment. Faudra-t-il annihiler cet esprit de vengeance, pour dire « oui » au monde et au passer, pour enfin « philosopher » ? S'il faut prendre toute philosophie comme charlatanerie, mise en scène, où le monde a été « recrée » en fonction des désirs d'un certain philosophe, où cela nous mène-t-il ?
[...] L'on a dit tout à l'heure que, pour Nietzsche, les stoïciens sont des dionysiokolakes, des comédiens. Ce parallèle des faux philosophes avec des comédien n'est pas nouveau chez Nietzsche et chez d'autres philosophes : Dans toute philosophie, il arrive un moment où la conviction du philosophe monte sur scène. Il écrit ici qu'ils se trompent eux-mêmes. En effet, les stoïciens croient que leur doctrine leur est dictée par la nature, mais c'est en fait le contraire : leur nature (leur conception de la nature) leur est dictée par leur doctrine. [...]
[...] Il n'y a aucune objectivité, Votre orgueil entend régenter jusqu'à la nature et lui inculquer votre morale et votre idéal ; vous exigez que la nature soit conforme à la doctrine du Portique et vous voudriez que toute existence ressemble à l'image que vous vous en faîtes, [ ] C'est avec ironie que Nietzsche reprend l'étymologie du mot stoïcisme, Zénon enseignait en effet au portique du Pécile, et le stoïcisme a pour origine le mot grec stoa , qui signifie le portique. Le stoïkos appartient à l'école du portique. [...]
[...] Le stoïcisme, c'est donc se tyranniser soi-même, le stoïcien de plus ne doit pas vouloir s'élever, il doit rester à sa place, alors que Nietzsche nous préconise d'aller au-delà, pour atteindre le sur homme. Mais Nietzsche interroge l'école de Chrysippe, Epictète, Cléanthe : comment la nature, qui ne dépend pas d'eux, pourrait-elle suivre leur règne de l'ascétisme ? Au lieu de s'accorder comme ils le disent avec la nature, ils veulent altérer jusqu'à son essence. La nature bien évidemment ne se laissera pas tyranniser ontologiquement, mais elle sera tyrannisée logiquement, dans les termes, pour et par quelques stoïciens. [...]
[...] L'on sait que Nietzsche dénonce une grande partie de la pensée et de la morale humaine comme fruit du ressentiment et de la frustration. Dire non au monde, est refuser le monde tel qu'il est, lui imposer notre subjectivité et la rationalisation de nos passions. La libération détache le ressentiment de son non et le rend libre pour un oui Les fondements des philosophies de tout temps sont dénoncés par Nietzsche comme nos plus profonds instincts, désirs, pulsions, qui seraient rationalisés. [...]
[...] Les stoïciens, quant à eux, semblent chercher une vérité absolue, dont ils ont déjà par leur conception du monde, mais de manière erronée, ce qui les empêche de prendre de la distance avec leurs préjugés et de considérer des choses plus logiques et plus censées. Nous devons réviser nos jugements, notre philo étant secrètement déterminée par nos instincts, ou notre esprit de vengeance (voir dans Also sprach Zarathoustra). Heidegger parle dans Qui est le Zarathoustra de Nietzsche ? d'un esprit de vengeance que nous aurions accumulé envers le passer. Cette parenthèse nous a permis de concevoir plus clairement les limites sémantiques du domaine de l'erreur vérace ou de la vérité erronée. [...]
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