C'est en 1729 que Voltaire commence la rédaction de l'Histoire de Charles XII, une œuvre historique qui, contrairement à la Henriade publiée peu auparavant, est écrite en prose. Ce projet naît pendant le séjour que Voltaire fit en Angleterre où il fut exilé à la suite d'un différend avec le chevalier de Rohan. En ce lieu bas, le philosophe a fréquenté des hommes de lettres, des aristocrates…Autant de rencontres qui ont ouvert son esprit à de nouvelles idées. C'est donc également à cette époque qu'il commence à rencontrer un certain nombre de ceux qui avaient fréquenté Charles XII, ce légendaire roi de Suède mort depuis une dizaine d'années. Ces récits passionnent Voltaire et Charles XII lui apparaît rapidement comme étant susceptible de lui fournir un nouveau sujet d'écriture. S'atteler à une telle tâche semble complexe et délicat, le souvenir de Charles XII plane encore sur l'Europe, même dix-sept ans après sa disparition, mais les sources imprimées et orales sont suffisamment nombreuses pour que l'historien décide sans tarder d'écrire cette histoire. Publiés en 1731, les premiers chapitres sont saisis pour des raisons diplomatiques, le descendant d'Auguste II ayant jugé certains passages déplacés et injurieux. C'est donc pour contourner la censure que Voltaire envoie un manuscrit à l'imprimeur Wiliam Bowyer. L'ouvrage paraît d'abord en français, et ensuite, en anglais. Pendant ce temps, avec l'accord des autorités françaises, Voltaire fait parvenir une autre copie de son manuscrit à Jore, un éditeur français. L'Histoire de Charles XII se divise en huit livres qui retracent le parcours du conquérant suédois en restant principalement concentrés sur la vie guerrière de ce roi. Quelques ouvrages déjà publiés ont pu servir de base au travail de Voltaire comme celui de Limiers, publié en 1721. Les six tomes de son Histoire de Suède sous le règne de Charles XII, tout comme les Mémoires pour servir à l'histoire de Charles XII de Theyls ont sans doute représenté une première source d'informations.
À l'époque où Voltaire entreprend cette rédaction, les vies et les histoires de grands personnages illustres sont très nombreuses. Ce sont des récits sur des hommes d'État, des hommes d'Eglise, des hommes de lettres, toujours publiés après leur mort. On serait donc tenté, dans un premier temps, de retrouver dans l'œuvre de Voltaire certaines caractéristiques de ce genre littéraire. Le plus souvent, le but de ces productions était de présenter des hommes illustres comme des modèles à imiter. Dans l'Histoire de Charles XII, Voltaire ne fait pourtant pas réellement l'éloge du conquérant, il en souligne l'intérêt et l'importance, mais ne le présente pas comme une référence. De plus, cette œuvre n'a pas été écrite dans le but de faire une biographie de Charles XII. Ce sont les hauts-faits qu'a accomplis Charles qui sont importants et sur lesquels repose l'œuvre. Voltaire ne s'attarde jamais sur les épisodes qui concernent la vie personnelle de son héros. Il privilégie au contraire les grands évènements car ce sont eux qui laissent le plus de traces écrites derrière eux et qui se prêtent le mieux aux analyses et aux commentaires. L'écriture de cette histoire se caractérise donc avant tout par un ensemble de choix qui sont à l'initiative de l'historien : « On est persuadé que l'histoire d'un prince n'est pas tout ce qu'il a fait, mais ce qu'il a fait de digne d'être transmis à la postérité (p.154). Une histoire fonctionne selon une vraie chronologie, mais l'auteur peut faire des choix et organiser son propos comme il le souhaite. Il n'a choisi que les faits les plus intéressants et les plus susceptibles de servir son projet.
[...] Au contraire, il se présente souvent comme celui qui écoute et qui apprend comme on peut le voir dans les exemples suivants: Le roi de Pologne Stanislas, qui m'a fait l'honneur de m'apprendre la plupart de ces particularités p.466) ou bien : Au reste toutes ces particularités si conformes au caractère extraordinaire de Charles XII, m'ont été confirmées par le comte de Croissy, ambassadeur auprès de ce prince, après m'avoir été apprises par M. Fabrice p.493). Le témoin transmet et l'historien prend en charge le récit. [...]
[...] L'éthos est lié à la construction de l'identité. Voltaire se sert donc du discours pour se façonner une image d'historien le plus crédible possible. On verra tout d'abord que son rapport aux témoins, sa posture face à eux et le traitement particulier qui est fait de ces diverses informations participent à une même stratégie : la légitimation de son statut. L'Histoire de Charles XII est parcourue par les témoignages, ils ont un rôle important dans l'œuvre. L'histoire se doit d'être entièrement coupée de la fiction et ces récits soulignent à la fois la recherche, donc le travail, de l'historien, et sa volonté d'authenticité. [...]
[...] Ce n'est qu'à la fin du développement que Voltaire précise sa source : J'ai su ces particularités par des lettres de M. Bru mon parent, premier drogman à la Porte ottomane ; et je les rapporte pour faire connaître l'esprit de ce gouvernement p.398). Même si le nom de M. Bru ne peut pas prétendre avoir autant de poids que celui de Poniatowski par exemple, y faire référence est une obligation pour l'historien. D'abord parce qu'il doit faire mention de ses sources, mais aussi parce qu'il apporte une légitimité supplémentaire au propos de l'historien car même s'il n'est pas un personnage célèbre, il est légitime par la fonction qu'il occupait à cette époque. [...]
[...] Au début du livre cinquième, Charles XII arrive à Bender. Après un rapide point sur la situation à la Porte ottomane et sur les intrigues qui s'y nouent, Voltaire donne un aperçu des familiers du roi qui, l'ayant suivi dans son exil, lui apporteront leur aide : Le comte Poniatowski m'a dit lui-même, et m'a écrit qu'il avait eu l'adresse de faire tenir des lettres à la sultane Validé mère de l'empereur régnant, autrefois maltraité par son fils, mais qui commençait à prendre du crédit dans le sérail p373). [...]
[...] On peut dire que la mention du témoignage de l'épouse de Marlborough participe à ce désir de reconnaissance. Son témoignage n'est pas fondamental d'un point de vue historique mais il est pourtant mis en valeur par Voltaire : Ces particularités m'ont été confirmées par Madame la Duchesse de Marlborough, sa veuve, encore vivante p.312). La duchesse ne fait ici que soutenir les propos de l'historien, elle n'a pas vécu elle-même les évènements, et surtout, elle témoigne en tant qu'épouse et évidemment pas en tant que témoin oculaire. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture