Discours à la Nation européenne. Julien BENDA

Résumé du document

Julien Benda est une figure originale parmi les intellectuels français de la fin du XIXème siècle et de la première moitié du XXème siècle. Pour avoir, plus d'un demi-siècle durant, refusé toute allégeance à une quelconque école philosophique ou politique (et cela sous le nom grec d'Éleuthère, pour signifier ainsi son allégeance à l'Hellade), son œuvre a été longtemps caricaturée et l'auteur mal reconnu. Finalement il semble qu'il tienne sa revanche avec ces dernières décennies, qui l'ont porté au rang d'auteur 'visionnaire', en particulier pour son Discours sur la nation européenne, qui n'était pourtant pas son œuvre majeure aux yeux de ses contemporains. Il s'agira donc pour nous d'étudier cette œuvre au regard du contexte historique dans lequel elle se situe, mais également du point de vue de sa postérité et des solutions qu'elle peut apporter aux problèmes actuels posés par la construction européenne

Extraits

[...] Toujours en référence à la philosophie antique, J. Benda place, dans l'échelle des valeurs, la sagesse et la tempérance devant l'héroïsme guerrier. Les champions de l'ordre c'est-à-dire les conservateurs, sont aussi dangereux, car l'auteur explique, qu'ils se sont ralliés au bellicisme au cours du XIXème siècle pour consolider une autorité menacée. Un autre ennemi de la paix et de la construction européenne serait une partie de la pensée catholique qui tolère la soif de conquête et le nationalisme (à l'image de Joseph de Maistre). [...]

[...] Non pas qu'il reniât son ascendance; il lui plaisait plutôt de retrouver en soi l'accord d'«une petite Juive du Marais parisien, pétulante, écrivassière» (sa mère) et de quelque «Juif du vieil Orient épris d'éternité» (son père). Formé aux mathématiques (il prépara Polytechnique, et fit un stage à l'École centrale), puis aux disciplines historiques dans la Sorbonne de Seignobos et de Langlois, J. Benda était un individu plus complexe qu'on ne le juge sur sa légende. Assurément rationaliste, il s'affirme aussi religieux (mais de la religion de la justice, des sciences et de la vérité) En tant qu'écrivain engagé, le premier grand combat qu'il soutint fut la cause dreyfusarde. [...]

[...] - L'Europe est-elle toujours en quête d'Européens comme le suggérait Benda ? Il semble que la construction européenne, commencée il y a environ 50 ans, se fasse encore largement sous le signe de l'indifférence de nos sociétés à l'un des seuls liens qui puisse donner à la politique à la fois un sens, une vision et un avenir : l'imaginaire. Et dans ce sens, Benda avait raison de rappeler l'histoire européenne elle- même est plus ancienne que celle de bien des nations qui la composent. [...]

[...] Pourtant J. Benda sera encore directement critiqué dans les années 1930, à travers un texte de Rougemont par exemple (Penser avec les Mains, publié en 1936). Ce dernier souhaite donner une orientation nouvelle à l'engagement des intellectuels, mais dans un sens antithétique à celui de Benda. Il voit le rationalisme vulgaire, l'individualisme et l'idéalisme des clercs comme les causes de la décadence de la culture et de la société européennes. Aux tentatives fasciste, soviétique et nationale-socialiste de restauration par la force d'une mesure commune, où la notion chrétienne d'unité fait défaut, l'auteur oppose une mesure nouvelle fondée sur l'épanouissement de la personne, qui prenne en compte toutes les puissances de l'homme. [...]

[...] Les exemples sont nombreux. Ainsi, si les Français ont réclamé pendant cinquante ans le retour de l'Alsace-Lorraine au sein de leur territoire, ils n'acceptent pas la remise en cause du traité de Versailles par les Allemands, qui pourtant se fondent sur les mêmes principes dans leurs réclamations. L'adoption d'une langue supranationale est également nécessaire, et J. Benda propose de choisir le français, qui serait éminemment rationnel en opposition aux langues anglo-saxonnes primitives Cette lutte en faveur de la rationalité (contre le sentiment) doit être menée partout, sur le modèle des grands penseurs français. [...]