Le parcours d'Hannah Arendt est unique. Celle qui fit, tout au long de sa vie, preuve d'un œcuménisme rare chez les intellectuels de son temps, était d'origine juive, bien que non pratiquante. Elle s'intéressa d'abord au christianisme et soutint en 1928 une thèse sur le concept d'amour chez Saint Augustin, sous la direction de Karl Jaspers. Ayant fui son Allemagne natale à cause des persécutions nazies elle acheva d'écrire un ouvrage magistral sur les origines du totalitarisme et a nourri de riches réflexions sur la liberté humaine.
L'ouvrage étudié, dont le titre original, Between Past and Future, a été remplacé en français par le titre - peut-être contestable - de La Crise de la Culture est un recueil d'essais - ou d'exercices de pensée politique - rédigés entre 1954 et 1968. Ces huit exercices ne constituent pas à proprement parler une unité logique puisque se succèdent des thèmes aussi variés que "la crise de la culture", "la conquête de l'espace et la définition de l'homme", ou "qu'est ce que la liberté?", mais Hannah Arendt réaffirme tout au long de son œuvre sa conviction que les aspects les plus authentiques et notables de la vie politique n'ont jamais été correctement traités par la philosophie
[...] Une définition de l'autorité reposerait donc sur cette double opposition à la contrainte par la force et à la persuasion. Rappelons qu'historiquement, la disparition de l'autorité est analysée comme la phase finale d'une évolution qui a sapé la religion et la tradition, dans sa rupture avec l'âge moderne. Cependant, si en perdant la tradition - qu'on ne confondra pas avec le passé nous avons perdu un fil conducteur dans les domaines du passé, ce fil liait aussi des générations successives à un aspect prédéterminé du passé. [...]
[...] Dans son essai publié en 1996, L'humanité perdue, Finkielkraut avait déjà prolongé la conclusion d'Arendt en ces termes: "La personne déplacée, a dit Hannah Arendt, est la catégorie la plus représentative du XXe siècle". Or la leçon que cette personne est amenée, comme malgré elle, à tirer de son expérience, c'est que l'homme ne conquiert pas son humanité par la liquidation du passé qui le précède, la répudiation de ses origines ou le dessaisissement de la conscience sensible au profit d'une raison surplombante et toute-puissante. [...]
[...] La crise de l'autorité, évidente dans des domaines que la famille et l'école rejoint d'une certaine manière, celle de l'éducation puisque toutes deux sont les révélateurs agissants de ce passage entre la tradition et la modernité, "between past and future". Crise de l'éducation D'une manière générale, pour les philosophes, la réflexion sur l'éducation est inséparable d'autres réflexions, notamment sur la nature humaine et sur la place de la culture. Une question, en effet est de savoir si l'homme est "naturellement" bon, et s'il faut alors soustraire d'une manière ou d'une autre les enfants aux influences jugées "perverses" de la société. [...]
[...] Cette réalité a un double impact : il isole l'adulte face à l'enfant pris individuellement et privé de contact avec lui, et il isole l'enfant dans un groupe tyrannique, car "l'autorité d'un groupe, fût-ce un groupe d'enfants, est toujours beaucoup plus tyrannique que celle d'un individu, si sévère soit-il." (p. 233) L'enfant est alors affranchi de l'autorité des adultes à laquelle se substitue la tyrannie de la majorité. Cette solitude de l'enfant vis à vis des adultes et des autres enfants le pousse alors au conformisme béat, à la délinquance juvénile, et souvent à un mélange des deux. La deuxième idée a trait à l'enseignement. [...]
[...] Plus loin, Hannah Arendt, constatant que "n'importe quoi peut prendre le nom de n'importe quoi d'autre, et que les distinctions ne sont significatives que dans la mesure où chacun à le droit de définir ses termes." Ce "droit bizarre" fait perdre aux termes d'importance leur signification commune et "nous accorde le seul droit de nous retirer dans nos propres mondes de sens" (p. 127). En France, la défense "arendtienne" du conservatisme en éducation buta contre le mur vivant de mai 1968. Sartre et les Foucault, sous le haut patronage desquels on monta aux barricades et renversa l'autorité des maîtres, se délestèrent dans la joie de ce vieil idéal de la Renaissance: la liberté comme discipline et conquête de soi. Il ne serait plus question d'hériter de quoi que ce soit, ni de la culture, ni du passé. [...]
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