Der Kampf als inneres Erlebnis, deuxième ouvrage du jeune Jünger, fut édité en 1922, deux ans après le célèbre In Stahlgewittern (traduit Orages d'acier) considéré par André Gide comme « le plus beau livre de guerre ». La guerre comme expérience intérieure est à la fois un roman et un essai. Jünger y réécrit ses souvenirs de la Grande Guerre, mais y ajoute des réflexions philosophiques et politiques. Dans ce livre complexe et ambigu, Jünger tente une sorte de théorisation de la guerre, tout en examinant l'effet des conditions de vie dans les tranchées sur l'âme des soldats. Ses propos sont regroupés par thèmes comme le feu, la bravoure, l'horreur et, pour le bref extrait qui nous intéresse plus directement, le pacifisme. Bien que cette œuvre ne fasse pas partie des plus célèbres de Jünger, elle est disponible en librairie et par là même il s'agit d'un document relativement courant.
Le parcours de l'auteur, inséparablement lié au contexte de l'époque, apparaît essentiel dans la compréhension de l'extrait. Jünger est né en 1895 en Allemagne. A 16 ans, il rejoint le groupe de jeunesse « les oiseaux migrateurs » (Wandervogel), dont l'idéologie peut être qualifiée d'anarchiste de droite. Puis il s'engage un court moment dans la légion étrangère française, afin de se réaliser et d'échapper à la tranquillité de la société bourgeoise de l'époque. Pour la même raison, il se porta volontaire dès que l'empereur ordonna la mobilisation en août 1914. Il combattit sur le front ouest et fut blessé plus de dix fois, mais il revint toujours au combat. Après la guerre qui marque l'écroulement de tout l'ordre antérieur, Ernst Jünger resta quelques années dans l'armée, puis exerça les métiers de journaliste, romancier et essayiste. Parallèlement, il étudiait la zoologie et la philosophie. L'expérience des tranchées marqua fortement sa pensée. Sous la République de Weimar, l'œuvre de Jünger est effectivement traversée par l'expérience de soldat. Dans plusieurs essais, il décrivit le monde de l'époque comme en état de mobilisation et de « guerre totale ». Ses engagements politiques militaristes et nationalistes furent très controversés . Malgré des débats récurrents sur le sujet, il s'est toujours tenu à une certaine distance des nazis. Il participa à la Seconde Guerre mondiale mais sans la même envie que pour la précédente. Les cinquante dernières années de sa vie, beaucoup moins mouvementées, sont moins utiles pour saisir le passage à étudier.
A l'époque, à part quelques « happy few » étrangers, la réception de Der Kampf als inneres Erlebnis se fit exclusivement en Allemagne, surtout parmi l'élite de la société. Le fait que ce livre soit lu en Allemagne et peu de temps après la guerre a augmenté le poids relatif de ses aspects politiques (et polémiques), laissant au second plan son intérêt littéraire.
Ce livre est une recherche du sens –aux deux sens du terme- de l'époque. Il est impossible de comprendre cet ouvrage sans voir que Jünger fût une figure exemplaire de l'intellectuel de combat sous Weimar, époque très particulière dans l'histoire allemande. L'atmosphère y est douloureuse pour la plupart des allemands : l'Empire est tombé, remplacé par une République que beaucoup considèrent comme sans grandeur, les conditions de la paix sont désastreuses, la révolution russe peut potentiellement s'étendre etc. Un sentiment de nostalgie de l'époque antérieure et d'humiliation de la défaite est très présent . L'opposition au régime est forte, à gauche (le parti communiste : KPD), comme à droite (la droite Völkisch, le Parti-National Allemand, le NSDAP d'Hitler etc.), d'autant plus que la crise économique est sévère, ce que le paiement des réparations n'arrange pas. Dans ces conditions, les attentats et coups de forces ne sont pas rares.
Ces circonstances éclairent un extrait qui, bien que titré « pacifisme », est principalement centré sur la guerre. Ce texte affirme l'aspect naturel de la guerre considérée comme le « bras armé » des civilisations et le ferment de l'unité nationale. En abordant ces thèmes, Jünger fait de nombreuses références implicites à des évènements historiques proches ou lointains et à des idées philosophiques diverses. Eloge de la guerre, ce texte est avant tout utile pour comprendre les traces qu'a laissées la Première Guerre dans les esprits et les sociétés.
D'où l'interrogation : en quoi ce document nous renseigne sur le rapport à la guerre de Jünger et de ses contemporains ?
[...] On peut aussi voir ce mouvement de progression dialectique dans la lutte des classes, considérée comme le moteur de l'histoire par Marx. Dans le contexte des civilisations, ces vues correspondent à l'affirmation précédente seules les guerres ont pu les maintenir, les propager ou les perdre (l. 8-10). En ce qui concerne l'influence d'Oswald Spengler sur Jünger, qui est son contemporain, elle est également très perceptible dans l'extrait. Dans son grand ouvrage, Le Déclin de l'Occident[14], Spengler estime que l'histoire du monde consiste en des cultures indépendantes les unes des autres qui suivent un cours cyclique. [...]
[...] 36-37), ce qui le fait paraître séduisant. Ce pacifisme peut même sembler comme la première forme, idéaliste. C'est la diffusion de ce pacifisme qui est dangereuse pour une nation. En Allemagne, la légende du coup de poignard dans le dos de la suspicion des militaires à l'égard des civils est certainement à rapprocher de la dénonciation de ce pacifisme peureux. Ce mythe est répandu pendant la république de Weimar par la propagande des milieux nationalistes et de l'extrême droite contre le régime. [...]
[...] Malgré le respect que l'auteur a pour cette forme de pacifisme qui refuse la guerre par amour des hommes (l. 22-23) plus que des nations, Jünger ne peut s'empêcher de reconnaître que, loin de faire cesser la guerre, les tenants de ce pacifisme se faisaient engloutir par elle, fracasser par [les vagues sanglantes] (l. 32). Sans doute doit on faire le lien entre cette description du pacifisme et la position de nombreux communistes et d'autres pacifistes de gauche qui s'est progressivement diffusée durant la Première Guerre mondiale. [...]
[...] Le Pérou fut conquis au détriment des Incas par Francisco Pizarro en 1532-1534 avec, dit-on, seulement 180 soldats, ce qui pourrait souligner la supériorité technologique mais aussi la plus grande volonté de lutte (l. l'audace des Espagnols. Enfin, les exemples historiques sont aussi utilisés pour illustrer la chute de civilisations. Le colosse aux pieds d'argile (l. 42-43) est le nom souvent donné à l'Empire russe qui paraissait puissant, mais qui fut battu successivement pas le Japon en 1905 et par les puissances centrales en 1917. Dans ce cas, nous constatons une faiblesse qu'un choc externe dévoile subitement (l. [...]
[...] Tous les mots soulignés, avec de manière la plus significative l'opposition centre / atomes montrent à quel point Jünger croit en la guerre comme moyen de regrouper les hommes d'un même camp. Paradoxalement, la guerre crée plus d'unité que de division. En traçant une frontière entre les peuples, elle permet de développer la cohésion interne à chacun d'entre eux. Il est évident, en effet, que le processus guerrier permet de désigner un Autre qu'il faut combattre, un objectif seul et unique : l'ennemi (l. [...]
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