Alain Corbin, historien français actuellement professeur a l'Université de Paris I Sorbonne, s'est affirmé dès le milieu des années 1980 comme l'un des personnages incontournables du paysage culturel français. Certains de ses ouvrages comme Le miasme et la jonquille (1986) et plus récemment Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot (1998) ont rencontré un écho qui dépasse le milieu des historiens. Il représente aujourd'hui un mouvement historiographique dit de "L'Histoire du Sensible" qui se propose de "se tenir à l'écoute des hommes du passé" afin de détecter les passions qui les animaient et de comprendre un monde aujourd'hui disparu.
Ainsi Alain Corbin est à l'origine d'un véritable renouvellement de l'histoire sociale. Délaissant les considérations quantitatives de l'histoire sociale labroussienne, il s'est tourné vers le qualitatif pour élaborer une histoire des mentalités et "ne pas décréter les passions qui animaient (les hommes du passé)" mais plutôt les détecter. Cette approche n'est pas non plus une simple histoire culturelle. Plus qu'à l'analyse des productions culturelles, Alain Corbin s'intéresse aux relations qu'ont entretenu les hommes avec leur environnement sonore ou olfactif, tout en mettant en perspective l'évolution de ces comportements, souvent inconscients, par l'évolution sociale et politique plus globale.
[...] Ainsi, dans la France républicaine conçue comme "rassemblement de cellules rurales" (p.275), c'est le clocher et non plus le son des cloches qui est mis en valeur ce qui souligne la perte de sens des sonneries. Malgré ce dernier recours à des témoignages directs, c'est bien à une "exploration de l'inactuel" que s'est donc livré l'auteur, à l'exploration d'une conception du monde qui fait partie de l'univers des populations et dont la compréhension a disparu avec cette perception du monde. Le paysage sonore a évolué et notre rapport à l'espace et au temps avec. Ce n'est donc qu'une "sensibilité déduite" que peut dégager l'historien qui s'est proposé de "décrypter ( . [...]
[...] Les cloches dessinent un "paysage sonore", une territorialité, c'est-à-dire l'ensemble des relations qu'entretient la communauté avec son espace et avec l'extérieur. C'est à ce titre que l'on peut parler des "cloches de la terre" en ce que leur configuration reflète et symbolise le rapport des "hommes de la terre" à l'espace et au temps. Ainsi "la cloche ( ) entre naturellement dans la gamme des symboles de soi" (p.79). De cette façon l'auteur souligne que lorsqu'il s'agit de moderniser les signaux sonores, de tendre vers plus d'harmonie la communauté, "mue par ( ) les sentiments de fierté et de fidélité au symbole de l'identité collective" (p.82) préfère refondre la cloche plutôt que de l'échanger. [...]
[...] En effet, de la densité sonore recherchée avant la Révolution on passe au XIXème siècle à un désir d'harmonie des sonorités qui traduit un désir de modernisation. De même que la résistance aux changements de l'espace sonore ne "dépend(ait) pas tant du degré de la ferveur (religieuse) que du désir de défendre les usages locaux" (p.40) ces trois constats mettent en évidence le fait que la nature et l'usage des cloches furent alors avant tout des signes identitaires, qui devaient représenter la communauté. [...]
[...] Celui-ci permet un contrôle des messages sonores, c'est-à- dire de l'information. Les autorités municipales obtiendront de cette façon une "maîtrise l'état civil sonore" qui leur permettra d'imposer les diverses célébrations nationales comme le 14 juillet pourtant perçu par le clergé comme "l'anniversaire de la révolution qui a renversé les autels" (p.255). Ce qui est en jeu au travers de la maîtrise des éléments de la culture sensible communautaire c'est donc le "pouvoir au village" c'est-à- dire "la qualité de porte-parole de la communauté, la maîtrise des signes de son identité et, bien entendu, la défense de son patrimoine sacré et de sa rhétorique sonore" (p.263). [...]
[...] ) la portée d'événements que l'ignorance et l'outrecuidance conduisent à juger dérisoire". Si les documents témoignant directement de ce rapport au monde vécu par les populations n'existent pas, c'est au travers de sources indirectes, les quelques dix mille affaires de cloches que nous a laissé le XIXème siècle et qui témoignent des "pratiques sociales, de la gestion du symbolique, de la configuration des conflits et des signes de l'émotion collective" (p.267) que l'auteur "décrypte" la culture sensible des campagnes françaises du XIXème siècle. [...]
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