Dans ce texte extrait du livre V de l'Éthique à Nicomaque, Aristote s'interroge sur le rapport de la loi et de l'équité. Il montre que la justice ne saurait être toute entière comprise dans les dispositions inévitablement générales de la loi, et qu'il revient à l'équité de combler les lacunes de la justice légale. L'équité et la loi sont donc deux espèces d'un même genre : le juste. La première est cependant supérieure à la seconde dans la mesure où elle a précisément pour fonction, en la corrigeant, d'améliorer cette dernière.
[...] Aristote développe ici ces remarques de Platon. Aristote en tire alors une conséquence (lignes 10 à 15) : lorsqu'un cas non- prévu par la loi intervient et que l'application de celle-ci, du fait de son caractère inévitablement général, risque d'être trop rigide, et par suite injuste, il est alors légitime de compléter et de corriger les manques de la loi à la condition cependant de se mettre à la place du législateur, c'est-à-dire en agissant comme il aurait agi s'il avait connu le cas en question. [...]
[...] Certes l'équité s'écarte de la lettre de la loi, mais c'est pour mieux en retrouver l'esprit. Tout d'abord, et le texte est formel sur ce point, l'équité ne juge pas de la loi, elle n'a pas pour fonction de dire que la loi n'est pas bien faite, mais elle consiste seulement à juger des cas qu'elle n'a pu prévoir. D'autre part, être équitable, c'est continuer à obéir aux lois, puisque c'est tenir compte de l'intention du législateur au-delà même de ce qu'il n'a pu préciser. Autrement dit, il faut dissiper une équivoque. [...]
[...] Refuser de lui restituer, dans ce cas précis, c'est faire preuve d'équité. De même, si quelqu'un nous a confié un dépôt d'argent pour s'en servir contre le bien commun, il est équitable de refuser de lui rendre, au nom de ce même bien public dont la loi est la servante (cf. Cicéron, Des devoirs, III, 25). C'est ainsi, également, qu'en 1898, par mesure d'équité, un juge français, le président Magnaud, s'est rendu célèbre en refusant de condamner pour vol une mère de famille qui, alors qu'elle était dans la misère et allaitait son enfant, avait dérobé un pain (cf. [...]
[...] Quelle est la nature de cette difficulté ? Elle tient à ce qu'il existe deux sortes de juste : le juste selon la loi (est juste en ce sens ce qui est conforme à la loi) et l'équitable, qui est le juste indépendamment de la loi (Aristote, Rhétorique, XIII, Le Livre de Poche, p. 165). Est juste en ce second sens ce qui corrige la loi. Mais alors, comment le juste peut-il être à la fois ce qui respecte la loi et ce qui s'en écarte pour la rectifier ? [...]
[...] En ce sens, l'équitable est juste et s'avère même supérieur, non pas à la justice idéale, universelle, modèle de toute justice, mais à la justice légale dans la mesure où, en l'améliorant, il en constitue l'achèvement, le perfectionnement. L'équitable, c'est le sens de la justice dans l'appréciation des cas particuliers. II) Ce qui fait la valeur philosophique de ce que dit Aristote dans ce texte, c'est d'avoir compris qu'il faut parfois laisser la loi pour obéir à la justice, sortir de la légalité pour entrer dans le droit (Sertillanges, La morale de saint Thomas d'Aquin, Félix Alcan, p. 333). La justice, appliquée de manière trop stricte et littérale finit par virer en son contraire. [...]
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