Georges Lebrun rappelle, dans les premières lignes de son essai, L'antinomie et son contenu , la superficialité d'une vision "continuiste" de Kant à Hegel, qui voyait le dernier comme l'évolution naturelle du premier: l'idéalisme hégélien aurait été en fait la réédition du Criticisme mais épuré, débarrassé de ses insuffisances et de ses préconceptions handicapantes. Cette vision n'est plus réellement d'actualité pour les commentateurs récents des deux philosophes, et il ne s'agit pas ici pour Lebrun d'en effectuer la réfutation. Son essai ne va pas tenter de trancher de manière "objective" sur la pertinence (ou non) d'une représentation continuiste ; bien plutôt, il va s'intéresser à un point plus précis du problème, c'est à dire la posture qu'adopte Hegel lui même vis à vis du Criticisme, la façon dont il positionne sa propre philosophie face au discours Kantien, la manière dont il relit ce dernier, tout ceci en se concentrant sur un passage spécifique (afin de mieux cerner les données du problème): la relecture par Hegel des antinomies.
Le principal intérêt de cette étude sera, pour nous, de nous permettre, avec Gérard Lebrun, de positionner la philosophie spéculative hégélienne à la fois en opposition au criticisme kantien et au dogmatisme pré-criticiste (en faisant de celle ci un mode radicalement nouveau du "philosopher".
Je commencerai par tenter de retranscrire de manière problématisée la relecture des antinomies kantiennes par Hegel (1) ; j'essayerai ensuite d'étudier les conclusions que Gérard Lebrun en tire quant à la position de la philosophie spéculative, d'une part face au criticisme kantien ,d'autre part face au dogmatisme de l'ancienne métaphysique (2).
[...] Que révèle l'examen de ce contenu? Que la contradiction, c'est à dire les antinomies, sont nécessaires, et découlent en fait du déploiement propre des concepts en jeu: l'interrogation sur la limite passe nécessairement par le limité, puis par l'illimité: il y a une limite, mais cette limite peut être abolie; et toute limite possède et au delà avec lequel elle entretient un rapport, qui la fait limite ; que cet au-delà peut et doit à son tour devenir accessible, mais que cela n'est à nouveau possible que par l'abolition de cette limite, dans laquelle surgira encore une limite, qui n'en est pas une, et etc . [...]
[...] Alors en tout point du temps, une éternité s'est écoulée, c'est à dire une infinité d'instants, qui ne peut jamais être achevée par une synthèse dans l'ordre de la succession: en conséquence, l'infinité d'instants ne peut jamais s'être déjà écoulée, et rejoindre ainsi notre point du temps. Mais qu'est ce point du temps en réalité, demande Hegel? C'est une limite, une limite qu'on pense comme effective et séparatrice ; or c'est justement l'idée de limite effective dans l'ordre du temps qui est à démontrer. A l'inverse, l'infiniste nie que le monde ait un commencement. [...]
[...] Ces catégories (continuité/discrétion), il va les décrire comme inapte à rendre compte de l'inconditionné, comme la projection d'une condition subjective (les catégories de l'entendement) sur quelque chose qui tiendrait de la nature réelle de l'objet, ce qui rend le raisonnement apagogique sans valeur (si cette "grille" d'analyse ne correspond pas à la vraie nature de l'être, alors la réfutation de l'antithèse ne saurait prouver la thèse, et inversement). Les preuves seraient donc correctes dans leur formulation, mais non pertinentes, car résultantes d'une application inconsidérée des catégories de l'entendement. Hegel, en regard, démontre l'incorrection des preuves (chacune d'entre elles part d'une pétition de principe qui contient sa propre conclusion). [...]
[...] En regard, l'examen réel du contenu de l'antinomie permettra de comprendre l'auto mouvement du concept comme le passage par l'antinomie, qui l'englobe et la dépasse. La compréhension de la lecture hégélienne des antinomies permet donc de mesurer l'écart principiel entre Kant et Hegel ; elle permet aussi de comprendre à quel point leur orientation différente interdisait de prêter à Hegel lui même des interprétations continuistes. L'usage réellement dialectique des antinomies nécessitait en effet un examen véritable du contenu de celles ci, c'est à dire des significations véhiculées par les propositions énoncées : cette démarche était impossible à envisager pour Kant qui se contentait d'envisager le conflit et les contradictions des catégories dans leur application cosmologique. [...]
[...] Ce qui l'intéresse, c'est que dans l'Antithétique, la seule manière de ruiner la thèse adverse est toujours de réaffirmer discrètement sa propre thèse, en tant que présupposé argumentatif. C'est ce point précis qui permettra l'examen par Hegel du véritable contenu de l'antinomie. Pour nous exposer le travail hégélien, Lebrun va effectuer la "reprise" de l'antinomie, la première cette fois ci. Le finitiste (soutient la thèse que le monde a un commencement dans le temps et des limites dans l'espace) veut donc ruiner la l'antithèse. [...]
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