En faisant intervenir des perspectives anthropologiques dans son argumentation, Rousseau tranche une première question. Le relâchement des mœurs au théâtre n'est pas le fruit de circonstances particulières. Il existe bel et bien un lien d'essence entre cette existence du théâtre et le laxisme moral. Ce choix amène donc à Rousseau à expliquer ce qui fondamentalement lie théâtre et oubli de la nature humaine, et ce, selon sa méthode habituelle, en remontant à l'origine du problème (on avait déjà pu avoir un aperçu de cette technique dans le Discours sur l'origine de l'inégalité entre les hommes).
La question que pose Rousseau est donc la suivante : existe-t-il un rapport intrinsèque entre la notion même de spectacle et l'existence d'une société dans laquelle l'homme de la nature ne se retrouve plus ? La réponse qu'il formule s'appuie ainsi nécessairement sur des conceptions anthropologiques.
On verra ainsi d'abord en quoi les sociétés dites « du spectacle » constituent des dérivations de l'état de nature, et ainsi plus spécifiquement les effets qu'attribuent Rousseau au théâtre sur les hommes. En confrontant l'image de l'homme « un » contre celle de l'homme éclaté, on verra ensuite comment l'auteur reprend les éléments de sa philosophie politique au sujet du théâtre. Enfin, on tâchera de voir ce qu'il propose, ce qu'il montre comme une alternative à cet état de dégradation de l'homme.
[...] L'introduction du théâtre serait en cela une brusque dégradation de l'état. Les différences entre les deux sociétés, qui sont au cœur de la question posées par l'article Genève tendent donc à être illustrées au travers d'une représentation anthropologique. Le théâtre adapté à l'homme dégradé Je crois pouvoir avancer, comme une vérité facile à prouver, en conséquence des précédentes, que le théâtre français, avec les défauts qui lui restent, est cependant à peu près aussi parfait qu'il peut l'être (p.76) Etant donné les conditions de vie dans la capitale française, le spectacle fait en sorte office d'exutoire des passions. [...]
[...] À partir de ce point, Rousseau embraye plus globalement sur les dangers de l'amour pour l'homme. Il montre qu'à l'origine de l'introduction du thème de l'amour dans le théâtre il y a une certaine faiblesse par rapport aux anciennes pièces. Ne sachant plus nourrir la force du comique et des caractères, on a renforcé l'intérêt de l'amour On aura noté également qu'au cours de l'ouvrage Rousseau oppose au constat négatif des effets négatifs du théâtre sur les sexes la situation de Genève qui y est présentée comme idéale. [...]
[...] L'homme qui va au théâtre oublie ses devoirs pour s'adonner à une activité qui fondamentalement n'a pas d'utilité. C'est donc un danger pour le citoyen. La nature même a dicté la réponse de Barbare à qui l'on vantait les magnificences du cirque et des jeux établis à Rome. Les Romains, demande ce bonhomme, n'ont-ils ni femmes ni enfants ? trouve-t-on page 64. Rousseau oppose ici l'homme à l'état de nature à travers l'image du barbare à l'homme de la grande ville, le romain, un homme perverti par les jeux cruels du Colysée. [...]
[...] Ce dernier montre d'ailleurs sa position dans sa réponse à la lettre de J.Rousseau : Mais quel que soit le but d'un écrivain, soit d'être loué, soit d'être utile, ce but n'importe guère au public ; ce n'est point là ce qui règle son jugement, c'est uniquement le degré de plaisir ou de lumière qu'on lui a donné D'Alembert et plus globalement les philosophes mettent en avant les aspects positifs du théâtre pour l'homme, ce à quoi répond Rousseau : Je serais curieux de trouver quelqu'un, homme ou femme, qui s'osât vanter d'être sorti d'une représentation de Zaïre bien prémuni contre l'amour p.105 ; On prétend nous guérir de l'amour par la peinture de ses faiblesses (p.103) ; Ainsi le théâtre purge les passions qu'on n'a pas, et fomente celles qu'on a (p.70). Outre l'inutilité fondamentale, il y'a même un danger qui couve à implanter un théâtre à Genève. Rousseau fait également preuve d'ironie p.70 : Le théâtre rend la vertu aimable il opère un grand prodige de faire ce que la nature et la raison font avant lui ! Ainsi au mieux le théâtre ne reproduit-il chez l'homme que le travail de la nature et de la raison. [...]
[...] C'est aussi la preuve qu'un mode de vie vertueux est possible ailleurs que dans des circonstances purement helvétiques. Et si un tel mode de vie semble si vertueux et donc si bénéfique à l'homme, c'est par la proximité de ces populations d'avec l'état de nature initial, même si celui-ci est en fait une utopie. Même s'il ne montre pas vraiment ici le chemin à suivre pour résoudre les problèmes, du moins montre-t-il la possibilité d'une existence vertueuse, dans un cadre toutefois bien différent de la réalité parisienne, à laquelle s'adresse majoritairement sa Lettre à d'Alembert. [...]
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