Tocqueville consacre le livre I à définir la problématique qui va sous-tendre sa réflexion. L'ambition de Tocqueville est de souligner l'identité propre de la Révolution Française en distinguant ce qu'elle a d'universel et de singulier, de démocratique et de proprement révolutionnaire, en somme d'expliquer le caractère spécifique de la Révolution plus que son fond. Dans le livre II, l'auteur s'attache à démontrer que la Révolution a eu lieu avant la Révolution, qu'un travail de subversion est à l'oeuvre sous la façade de tradition de l'Ancien Régime, contredisant ainsi la thèse de Burke. A partir de ces 'faits anciens et généraux' qui ont préparé la Révolution Française, le livre III a, lui, pour objet de peindre les circonstances plus particulières de la crise, d'expliquer pourquoi la subversion de la féodalité menée dans l'ombre se radicalise soudain après 1750
[...] Le gouvernement de l'Ancien Régime a de cette manière laissé aux anciens pouvoirs, c'est-à-dire la noblesse, leurs honneurs mais les a dépossédés de leur autorité. L'administration opprime moins mais conduit plus; toutefois les réformes les plus nécessaires ne sont pas entreprises par manque de persévérance. La loi est déconsidérée car l'Ancien Régime se définit par des règles rigides mais par une pratique molle. La centralisation administrative et l'omnipotence de Paris, son hypertrophie, sont à mettre parmi les causes principales de la chute de la monarchie. [...]
[...] La société d'ancien régime est une société tendanciellement démocratique et pathologiquement aristocratique (F.Furet); c'est ce deuxième versant de l'analyse tocquevillienne qui est le plus admirablement fouillé bien que trop souvent négligé par la critique. Selon Tocqueville, l'ancien régime est une corruption du principe aristocratique: on assiste à une castification de la société, alors même que celle-ci évolue largement vers l'égalité des individus. Une expression de Mirabeau résume admirablement cet ancien régime puisqu'il le qualifie de cascade de mépris L'ancien régime analysé par Tocqueville est donc un système travaillé par une dynamique paradoxale: l'Etat centralisé ne cesse de détruire la réalité de ce dont il reconstruit sans cesse l'illusion, puisqu'il dépossède la noblesse de ses pouvoirs politiques tout en créant chaque jour de nouveaux nobles. [...]
[...] En effet, deux ans avant le déclenchement de la Révolution, l'administration publique, cette partie du gouvernement la plus proche du citoyen, renouvelle ses agents et change ses structures; l'impression de confusion domine alors et fait apparaître la fragilité du cadre administratif d'autant que cette réforme, bien qu'elle mette en place des assemblées municipales, entérine la séparation absolue des trois ordres, ceux-ci restant étrangers à toute administration commune des affaires. Ce qui demeure le plus frappant dans le phénomène révolutionnaire est le contraste entre la générosité des théories et la brutalité de leur transcription dans les faits. En 1789 existait une volonté vivace d'implanter durablement des institutions libres et démocratiques. [...]
[...] Alexis de Tocqueville, en écrivant L'ancien régime et la révolution, s'inscrit en fait dans une perspective très générale; il ne cherche pas seulement à cerner le caractère spécifique de la démocratie française tel qu'il se cristallise dans la Révolution. Grâce à l'étude de l'ancien régime et de sa conséquence quasi-logique, la révolution, Tocqueville donne la figure des risques qui menacent en permanence tout société qui se veut démocratique et évoque implicitement la marche du monde moderne vers l'égalité des conditions. [...]
[...] Ainsi, dans l'ancien régime ne l'intéresse que ce qui est révolutionnaire; L'ancien régime et la révolution est une histoire du déjà en quête des figures de la ressemblance. »(F.Melonio) Tocqueville n'a donc pas toujours la rigueur conceptuelle d'un sociologue contemporain mais il nous a appris à penser les nouveautés historiques de son époque. C'est à propos de l'individualisme que se révèle de la façon la plus frappante la sociologie de la connaissance de Tocqueville: il montre comment l'illusion d'indépendance de l'individu se forme lorsque disparaissent les liens traditionnels les plus visibles, alors même que s'accroissent et se diversifient les interdépendances ou, pour parler comme Durkheim, les formes de la solidarité organique. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture