La liberté est à la fois l'un des concepts les plus étudiés de la philosophie et l'un des plus ambigus. Il apparaît comme ce qui fait la grandeur de l'Homme, le différenciant des autres êtres vivants, et ce qu'il se révèle souvent incapable d'atteindre de par sa nature même. Chez Kant, c'est ce qui fait de l'Homme le “tenant lieu” de Dieu sur Terre, car il peut commencer de nouvelles séries causales grâce son libre-arbitre et donc avoir une influence sur la Création, et en même temps, c'est une passion par trop violente et source de corruption.
Mais la liberté est loin d'être une notion univoque puisqu'on parle aussi bien de Libertés Fondamentales dans la sphère du droit, que de “la Liberté”, qui ne semble elle-même pas toujours recouvrir la même chose : ne gagne-t-on pas toujours sa liberté en s'arrachant d'une situation pour arriver à une autre, et ne faut-il pas, de ce fait, perdre une liberté pour en gagner une autre ?
[...] Qu'on y réfléchisse un moment : quelqu'un qui serait bloqué dans la pure immédiation, ne connaissant jamais ni changement ni but, en somme une existence immobile dans un temps gelé qui serait pur présent - Grimaldi cite le cas des femmes du 18ème siècle, enfermées dans leur oisiveté - n'est-ce pas ce qu'on appelle une cage dorée ? À l'inverse, une pure médiation correspond à l'enfer de la tâche répétitive qui n'atteint jamais le moment de l'immédiation où on peut jouir du désir s'accomplissant enfin. C'est le rocher de Sisyphe, le travail à la chaîne : l'aliénation suprême. [...]
[...] Nous l'avons vu jusqu'ici, la liberté est constituée d'antinomies : c'est une transcendance qui veut une immanence, une rupture qui veut l'union avec le réel . Cela devient plus compréhensible si on conçoit qu'à son origine se trouve le désir, dont la double nature est un topos de la philosophie, déjà exposé par Platon. Le mythe de la création de l'âme du Timée illustre l'ambiguïté originelle du désir, montrant qu'elle est faite du Même, immuable et éternel, et de l'Autre, fouillis de commencements chaotiques sans continuation ni ordre et qu'on désire donc toujours à la fois ces deux contraires. [...]
[...] Il faudrait au contraire s'adonner à une abnégation qui n'est en rien un nihilisme en partageant sa vie avec l'Autre, cessant de le concevoir comme un obstacle à ma liberté pour au contraire exprimer celle- ci à travers lui. Finalement, même si les termes sont différents, ce dont il a l'intuition n'est pas si loin des philosophies du renoncement : pour communier avec l'humanité, loin des contradictions et de la souffrance du désir, il faut s'identifier à une vie plus vaste au sein de laquelle nous pourrons, délivrés de notre enfin être réellement libres. [...]
[...] Mais en même temps, on peut considérer que c'est une forme de liberté très dévaluée puisqu'elle n'a aucune prise concrète sur le monde : il n'y a qu'au niveau de ma propre psychologie que je transforme des taches de peinture en jeune fille - dans la réalité, il n'y a jamais que des couleurs amassées sur une toile. Ce qui change n'est pas l'objet, mais uniquement la façon dont je l'envisage. Cette forme de liberté est possible à l'Homme car il n'est pas attaché au monde. [...]
[...] Si on réfléchit plus avant, la loi, la majorité, ne sont après tout que des conventions et non des principes dont la vérité transcendante s'imposerait à chacun. Si, reprenant l'exemple du pilote, on lui ôtait son poste au profit d'une personne moins qualifiée non plus par la force tyrannique mais par un vote de la majorité, cela conférerait-il plus de légitimité à cet acte et serait-ce mieux perçu par le pilote ? La majorité autant qu'un individu peut-être guidée par le ressentiment, un intérêt personnel, la peur, ou toute sorte de mauvaises raisons, aussi ses décisions ne sont- elles pas toujours meilleures que celles d'un seul. [...]
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