Pour fixer une planche de bois, il faut un clou et un marteau. Celui qui le sait n'est pas pour autant forcément capable de la fixer. Il doit aussi connaître l'ensemble des procédés permettant d'atteindre cet objectif ; il doit être maître de la technique requise à cet effet. La technique peut alors être définie comme la manière précise dont s'opère la réalisation de moyens permettant d'aboutir à un résultat fixé.
La technique permet à l'Homme de se libérer de la nature, c'est-à-dire de produire quelque chose qui n'aurait pu exister seulement par le biais de celle-ci.
Se demander alors si la technique est l'ennemie de l'Homme revient donc à se demander si la mise en œuvre de moyens et de procédés en vue d'atteindre une fin que la nature ne fournit pas d'elle-même, est contraire à son bien et lui est hostile. La technique est aujourd'hui très évoluée, du moins plus qu'auparavant. Sa mise en œuvre peut même conduire à la création de menaces pour l'existence d'un être humain. Pensons par exemple aux armes nucléaires. Toutefois, l'exemple où un individu doit planter un clou dans une planche de bois montre bien la nécessité pour l'Homme d'être maître d'une technique requise à un effet donné. Il apparaît alors clairement un paradoxe: la technique aurait capté toute l'énergie de l'Homme alors qu'elle tendrait finalement à sa destruction. Comment l'Homme peut-il alors à partir d'un tel paradoxe porter un jugement sur le rapport qu'il entretient avec la technique ? Répondre à cette question nécessite au préalable de distinguer les différents niveaux du rôle que joue la technique pour l'Homme, c'est-à-dire d'analyser ce paradoxe.
La technique peut d'abord être source de liberté pour l'Homme et une nécessité à sa condition humaine le distinguant l'animal. Cela sera le sujet de notre première partie. Ensuite, nous étudierons comment la technique peut également tendre vers une forme d'aliénation et de contrainte inhumaine. A partir de cette ambiguïté du rôle que joue la technique pour l'Homme, nous réfléchirons sur la réelle capacité de celui-ci à juger le rapport qu'il entretient avec la technique.
[...] La technique peut ensuite permettre d'accéder à l'être. D'après le Mythe de Prométhée, l'Homme se libère par l'intermédiaire de la technique. N'étant ni rapide, ni fort, et ne se reproduisant pas vite, il n'a que ses capacités d'intelligence pour survivre dans la nature. En d'autres termes, il n'a que sa raison qui lui permette de se libérer de l'instinct. Celle- ci, par l'intermédiaire de la mise en œuvre de moyens propres à une technique donnée lui permet de transformer la nature selon ses besoins et donc de produire des formes utiles à sa survie. [...]
[...] C'est toute la complexité et la perversité de la technique. Il paraît donc bien difficile et même impossible de juger le rapport que l'Homme entretient avec la technique du fait de l'inégalité des Hommes face à celle-ci, mais également car le développement de la technique renforce l'incapacité de porter un jugement sur celle-ci. Le développement de la technique inhibe peu à peu les repères de l'Homme. La technique est d'abord source de liberté, d'épanouissement, de développement des facultés humaines, des talents, des qualités d'imagination, et de la raison. [...]
[...] Toutefois, ce savoir ne peut se réduire uniquement à une connaissance de règles à mettre en application : il faut aussi savoir appliquer la règle en question. Passer de l'un à l'autre savoir ne se fait pas par une opération de connaissance, mais par ce qu'on appelle l'exercice du corps humain. Aujourd'hui, on parle aussi de techniques de l'esprit. Il s'agit par exemple pour le philosophe d'apprendre les règles adéquates pour progresser dans la science. Ces règles ne sont pas pour autant des formules magiques. [...]
[...] La difficulté réside cependant dans le fait que les frontières de la notion de technique se brouillent avec l'art, avec l'histoire sociale, et avec la science. Cette difficulté à faire cette distinction est d'autant plus forte que plus le développement de la technique est élevé, plus l'Homme a du mal à se situer dans l'espace et dans le temps. L'Homme perd de nombreux repères comme par exemple le rapport qu'il entretient avec la nature. Grâce au développement de la téléphonie mobile, l'Homme peut par exemple perdre la notion de distance. [...]
[...] Malgré tous ces atouts conséquents qu'offre la technique à l'Homme, comment celle-ci peut-elle paradoxalement tendre à une aliénation de l'Homme et, même dans l'extrême, à sa destruction ? La technique, facteur du développement rationnel de l'humanité, a pour revers un instrument d'asservissement, d'aliénation et de destruction du milieu. Etudions dans un premier temps comment l'homme peut paradoxalement devenir dominé par la technique alors que cette dernière est d'abord nécessaire à son développement. Ensuite, voyons comment la technique peut devenir une menace pour l'Homme et son milieu. [...]
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