Je voudrais me permettre d'être un peu original, dans la manière dont je vais tâcher d'explorer la relation entre discours et emprise. Le sujet est évidemment très large, et nous pourrions être tenter de l'aborder, pour mieux le saisir, en l'illustrant par des exemples classiques provenant d'autres nations ou d'autres temps : on traiterait par exemple volontiers de l'emprise du discours chrétien sur les peuples européens au Moyen-Age, ou de la propagande nazie dont a été victime le peuple allemand durant la seconde guerre mondiale, ou encore du discours djihadiste qui, aujourd'hui chez nous, peut mettre sous emprise certains franges de la population. Si ces exemples classiques permettent d'illustrer effectivement le pouvoir dogmatique que peuvent avoir les mots sur les sujets, ils risquent néanmoins de donner à croire que dans nos sociétés industrielles modernes et démocratiques, la grande majorité de la population se situe en dehors de tels phénomènes d'emprise et que nous serions devenus des sujets libres, au sein d'une société qui réprouve la hiérarchie et le dogmatisme.
[...] Expliquons-nous sur ce point. « La Nature est écrite en langue mathématique » : voilà l'orientation originelle et fondamentale imprimée à la science occidentale au commencement des temps modernes, par un de ses fondateurs : Galilée. Le langage mathématique est le langage de la nature elle-même, le langage qui doit nous servir, nous humain, à comprendre la nature. Les concepts qui ont été construit aux temps modernes en mathématique (les fonctions, les espaces vectoriels, les séries, etc . l'ont été pour expliquer des phénomènes physiques ; et si l'on apprend aux jeunes élèves en classes préparatoires à maitriser cette langue, ce n'est pas, comme dans l'Antiquité, parce que nous pensons comme Platon que les mathématiques sont une propédeutique à la philosophie (nous ne voulons nullement produire des philosophes), c'est pour que ces élèves futurs ingénieurs soient ensuite capable de comprendre et d'interpréter la nature en terme mathématiques. [...]
[...] L'industrie aéronautique, automobile, informatique ; industrie des télécommunications ; domaines de l'énergie, du pétrole, de la chimie ; industrie pharmaceutique, agroalimentaire, etc . : tous ces domaines, toutes ces activités industrielles humaines, requièrent des sujets à l'esprit scientifique. Des sujets qui parlent la langue mathématique ; des sujets qui maitrisent les outils mathématiques, connaissent les lois de la matière. Ce sont de tels sujets dont on besoin ces industries pour pouvoir produire. Produire. C'est ce mot que Heidegger nous demande d'entendre, dans son essai sur la Technique. Produire, c'est-à-dire, étymologiquement : amener à l'être. [...]
[...] Ces sujets, une fois compris le monde et les êtres naturels comme des machines, produisent à leur tour des machines, emplissent à leur tour le monde de machines. Les voilà qui transforment le monde, et ne cessent de mettre au monde de nouvelles choses, de nouveaux objets, de nouveaux biens de consommation, de nouvelle marchandise. Emploient leur talent à une telle production. La technique moderne est l'autre versant de la science. Ceux à qui on l'a inculquée, durant leurs années d'apprentissage, sous l'autorité d'un maitre, dans des écoles environnées de prestige social, se voient laissés ensuite la liberté de faire. D'œuvrer dans le monde. [...]
[...] Les classes n'ont ici pas grand-chose à voir avec les grands amphithéâtres de l'université, où les professeurs se relaient en nombre devant des promotions de plusieurs centaines d'étudiants. Là, nous restons dans l'intimité de la classe, avec élèves, dans un petit espace, devant deux maîtres qui chacun prendront la parole une quinzaine d'heures pas semaine, et qui ne consacreront leur temps d'enseignement qu'à ce seul groupe. La relation enseignant-élève est ici davantage une relation de proximité. On n'y trouve pas cet éloignement qui est celui des amphithéâtres de l'université durant les premières années, où l'étudiant n'est qu'un anonyme perdu dans la foule. [...]
[...] On apprend donc également dans ces études de mathématiques une logique, une manière de raisonner. Celui qui pense et croit que cette manière de raisonner est naturelle ne connait pas l'histoire des sciences : cette idéographie et cette logique sont le fruit d'une construction de l'esprit humain, que l'on peut dater, et auquel il est facile d'attribuer de grands noms de l'histoire des sciences : Leibniz, Boole, Frege, Russell, etc . Voici donc notre jeune esprit, désireux de réussir, recevoir de l'autorité professoral se trouvant devant lui les normes de la raison : un nouveau langage pour exprimer la pensée ; une nouvelle logique pour articuler entre eux les énoncés. [...]
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