On résume souvent la pensée de Walter Benjamin à trois domaines d'investigation : une philosophie du langage, une philosophie de l'art, une philosophie de l'histoire. Sa philosophie de l'histoire est la plus tardive et l'écrit majeur, resté pourtant inachevé et toujours remis en chantier, « Sur le concept d'histoire » (rédigé en mars 1940, la dernière année de la vie tragique de Walter Benjamin) résume ses conceptions historiques. L'analyse se portera essentiellement sur ses thèses sur l'histoire de 1940 mais également de différents travaux qui sont des préparatifs de cette philosophie ou des compléments intéressants à sa philosophie de l'histoire. Dans cette optique différents textes sont incontournables pour comprendre la philosophie de l'histoire de Benjamin : « Sur le concept d'histoire » bien sûr, « Eduard Fuchs : collectionneur et historien », « Pour une critique de la violence », « La vie des étudiants » et enfin le « Fragment théologico-politique ». Nous nous baserons aussi sur les commentaires indispensables de ses amis, ceux de Theodor Adorno, d'Hannah Arendt, de Gerhard Scholem ainsi que de l'analyse très intéressante de la philosophie messianique de Benjamin dans « Témoins du futur : philosophie et messianisme », ouvrage écrit par Pierre Bouretz. En complément, il apparaît indispensable, pour comprendre totalement sa philosophie de l'histoire, d'avoir recours à différents éléments de l'existence de Benjamin ainsi que les événements du monde dans lequel il vivait, monde auquel, selon Hannah Arendt, Benjamin n'a jamais su s'adapter, d'où sa « difficulté d'être ».
Nous reprendrons, pour analyser la conception historique de Benjamin, les quatre angles d'attaque définis par Rainer Rochlitz dans l'introduction de « Walter Benjamin, Ouvres I » (les trois premiers étant déjà exposés dans le texte sur Eduard Fuchs et le dernier n'est abordé que dans le « Fragment théologico-politique » et bien sûr dans les thèses « sur le concept d'histoire ») :
- le caractère fulgurant de l'image historique contre l'image intemporelle de la vérité historique pour l'historicisme
- la confusion entre progrès technique et progrès de l'Humanité
- Opposition entre un temps linéaire, homogène et vide et une vision discontinuiste de l'histoire dans laquelle le présent est visé par le passé, devenu intégralement citable
- Le recours au messianisme et à la rédemption comme « concepts authentiques de l'histoire universelle »
[...] Face à ces trois conceptions de l'histoire dominantes au XIXème siècle, Benjamin propose une vision à la fois discontinuiste du temps et non téléologique. Pour lui, l'histoire n'est pas homogène et vide mais est saturée d'« à-présent (c'est là la troisième catégorie de la philosophie de l'histoire de Benjamin selon Pierre Bouretz), qui représente un arrêt et un blocage du temps qui représentent des éclats du temps messianique, en d'autres termes une chance révolutionnaire dans le combat pour le passé opprimé Cette conception discontinuiste du temps renvoie donc à l'à-présent, ce blocage messianique ouvert à l'utopie qui n'est, selon Benjamin, ni le telos ni la dunamis de l'histoire, mais un terme au devenir historique, un arrêt du temps qui fuit dans la Catastrophe. [...]
[...] Ce point ultime, pour Hegel est l'avènement de l'Etat moderne. La conception hégélienne de l'histoire la représente moins comme linéaire que comme dynamique. Pour autant, elle reste cantonnée à une vision d'un temps homogène dans la mesure où sa progression dialectique se réalise dans le cours homogène du temps, les trois étapes dialectiques ne pouvant se succéder que sur même plan. En outre, l'avènement de l'Etat moderne représente l'aboutissement du processus dialectique dans l'histoire, que Hegel nomme la fin de l'histoire pris dans le sens d'un achèvement. [...]
[...] Dans ce court écrit, Benjamin applique, dans un style condensé et allégorique, la symbolique du tableau à son existence, caractéristique désastreuse de l'intelligentsia juive-allemande de l'époque. Ce texte, intitulé Angelisaus Santander imagine que ses parents lui aient donné, face à sa vocation de devenir écrivain, des faux prénoms différents du prénom usuel, Walter, pour cacher l'ascendance juive du philosophe et prévenir le destin Walter veut originairement dire ange nouveau et Benjamin conçoit qu'il existe pour chaque être, son ange secret qui, dans la tradition juive, est créé pour chanter un instant les louanges de Dieu pour s'éteindre dans le néant. [...]
[...] U étant un privatif, utopie signifie littéralement en nul lieu et en nul temps La pensée de l'histoire de Benjamin intègre par anticipation les idées de Hans Jonas et de son concept de Dieu après Auschwitz selon lesquelles Dieu ne peut être considéré comme tout-puissant, omnipotent, qu'il est parfaitement conscient du mal dans l'histoire (la catastrophe chez Benjamin) et qu'il a laissé la responsabilité aux hommes de faire advenir la rédemption, dont le prélude est l'action révolutionnaire dans l'ordre du profane. [...]
[...] Pour échapper à l'inéluctabilité du Danger, de la Catastrophe, la nécessité d'attiser dans le passé l'étincelle de l'espérance est le complément indispensable de la conscience historique. Cette analyse de Benjamin peut être mise en parallèle avec l'analyse de la domination et de la tyrannie opérée par La Boétie dans le Discours sur la servitude volontaire Celui-ci montre que l'endormissement des masses est une des causes de la servitude, de la domination et de la servitude. Autrement dit, si les masses n'accèdent pas à l'éveil, à la conscience historique (sans quoi l'action révolutionnaire est inconcevable), la victoire des maîtres est inéluctable le temps fuyant ainsi vers la Catastrophe La confusion entre progrès techniques et progrès de l'Humanité Benjamin dénonce dans la Xème thèse de Sur le concept d'histoire la foi aveugle des politiciens dans le progrès qui assimilent progrès techniques et progrès de l'Humanité. [...]
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