L'homo sapiens -homo faber et homo loquax-, «animal politique» est avant tout un «animal vertical», un «roseau pensant» c'est à dire un «animal métaphysique» qui vit avec la conscience de la fuite du temps et du mourir et par conséquent de sa condition finie et mortelle. L'homme par nature ne peut s'empêcher de se poser des questions: l'état théologique fictif (mythologie grecque) des cités antiques imagine les causes premières (cosmogonie et théogonie) et finales (métempsycose et royaume des enfers); l'état métaphysique abstrait (christianisme) des royaumes médiévaux indique la Création (Genèse) et la fin (apocalypse, Paradis / Enfer); l'état scientifique positif (scientisme) des sociétés modernes observe les lois naturelles (aux même causes succèdent les mêmes effets) des phénomènes (Comment?) du cosmos –étymologiquement l'ordre- mais recherche aussi les racines (raison) du tronc (sciences a priori) et des branches (sciences empiriques) de l'arbre cartésien de la connaissance. Finalement, depuis le «pourquoi?» infantile ou plutôt enfantin c'est à dire humain, l'homme s'interroge sur sa nature (qui suis-je?), son origine (d'où viens-je?), sa finalité (où vais-je?) ou plutôt sa finitude mortelle.
[...] L'aporie tient à l'Universel concret perçu conçu vécu imaginé (individus, sociétés, systèmes culturels) et le Singulier concret inobservable inconcevable invivable inimaginable (radicale événementielle et unicité). Le concept de mort n'est pas la mort: la mort ronge son propre concept, ronge les autres concepts, sape les points d'appui de l'intellect, renverse les vérités, nihilise la conscience, et ronge la vie elle-même. Même si la mort est insoluble pour nous, en tant qu'êtres philosophant nous devons penser cet horizon de la vie, ce point de fuite de tout et assumer cette donnée inhérente à notre essence. [...]
[...] Une difficulté s'impose immédiatement: la mort indéfinissable et indécomposable en soi ne peut pas être modélisée ni conceptualisée, donc pensée clairement et distinctement. Ce problème entretient un paradoxe: l'homme par essence même pense nécessairement à la mort et a la certitude que la mort biologique est à l'horizon de la vie mais la mort ne peut pas être le terme de ma propre existence car la mort du moi en tant que disparition de l'ici et du maintenant est inimaginable et «inexpérimentable» et par conséquent n'est pas pensable en soi. [...]
[...] Si la disparition d'autrui est observable (rigidité puis décomposition d'un corps, disparition d'une parole et d'une relation), le deuil ne me permet pas de penser ma mort inévitable irrémédiable irréversible car je me reste et cette présence à soi qui me fait être un soi n'est pas affectée par la mort d'autrui qui n'est pour moi que la disparition de la possibilité d'un regard sur un objet qui n'est plus: c'est donc un transfert illégitime et erroné comme en témoigne le paradoxe épistémologique de la bio-anthropologie historique d'Ariès et l'anthropothanatologie comparatiste de Louis Vincent Thomas. Mais si l'homme ne peut pas non plus penser la mort de l'autre alors sa condition ne correspond pas à son essence. Si mort et pensée sont antagonistes, comment peut-il vivre en humain? [...]
[...] Pourtant, par condition, l'homme est confronté à la mort et par essence il ne peut pas ne pas y penser. Mais comment, si je ne peux élaborer aucune pensée de la mort, ne pas penser à sa propre mort alors que la disparition d'autrui, autre moi, autre que moi est une constatation tout au long de ma vie? Dans un second mouvement, étant donné que l'homme en tant qu'homme pense à la mort en général, et que sa mort en particulier est impensable, il pense et expérimente indirectement la mort familière à travers On. [...]
[...] Les attitudes face à la mort témoignent des approches successives suivant l'évolution temporelle et les disparités spatiales. Outre les survivances invariantes ou archétypes inconscients universaux: anomie et impureté du cadavre en décomposition, redondance (mort féconde, mort- naissance, mort-maternelle, mort-agression, mort-sanction association mort-initiation, relations morts-vivants, place de la mort dans la vie économique et artistique Ariès décrit les appréhensions successives de la mort dans ses Essais sur l'histoire de la mort en Occident. D'abord, dans les cités primitives traditionnelles antiques, la mort est déniée dédramatisée et méprisée: cérémonie publique (groupe) collective (dialogue bénéfique) codifiée (invocation plaintes des deuilleuses, offrandes- sacrifices) extérieure (sépultures exclues de la cité), rites funéraires longs et postérieurs (toilette veillée funérailles mémoire), prolongement (aliments habits) et «présentification» (momification-embaument), voyage mystique de l'âme (Ba ka eidolon genius) et transmigration dans la «maison d'éternité» (Amenti Champs Élysées / Tartare), lien humanité animalité (réincarnation) et divinité (culte des ancêtres). [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture