La liberté ne concerne pas seulement nos mouvements accomplis sans entraves physiques, elle ne cesse de nous renvoyer à nous-mêmes, car elle nous définit comme des êtres capables d'agir, de se déterminer par leur seule initiative. Par la liberté, je suis l'auteur de mon action, de mes pensées, je suis capable de leur donner le sens que j'ai choisi. Il y a en nous une présence de la liberté, comme un sentiment, c'est-à-dire quelque chose de senti plutôt que de construit mais qui se manifeste spontanément à notre conscience.
Pourtant, cette présence qui s'éprouve sur le mode de l'évidence ne va pas de soi : par nature, le sentiment est obscur, voire trompeur, il est un vécu immédiat qui compte toujours une part d'indétermination, qui nous affecte sans que nous en ayons forcément l'initiative.
Comment s'assurer que la liberté est bien l'origine de cette affection, être sûr que cette dernière n'est pas une illusion de notre conscience ? Comment un sentiment, qui se vit sur le mode de l'intériorité, peut-il attester de notre capacité à agir dans le monde ?
[...] Cette universalisation des prescriptions de la loi morale n'est pas affaire de sentiment, mais de raison. Saisir la liberté, c'est s'en remettre à une rationalité pratique qui nous permet de nous déterminer. Kant considère que le monde des phénomènes est soumis à la nécessité des lois physiques, alors comment s'assurer de la facticité de la liberté ? S'assurer de l'existence de la liberté n'est pas affaire de sentiment, mais de raison, raison qui appréhende la loi morale. Comme le remarque Kant dans la préface à la Critique de la raison pratique, la loi morale est la ratio cognoscendi de la liberté : en nous permettant de saisir ce qu'est se déterminer de manière autonome, elle fonde et assure l'existence de notre liberté, mais si celle-ci échappe au monde de la nécessité physique. [...]
[...] S'il y a un sentiment de la liberté, c'est à partir des effets de celle-ci. Comme le note David Hume dans son Enquête sur l'entendement humain, si on ne connait pas l'effet, on ne peut ni connaître ni sentir le pouvoir (livre VII). La liberté comme pouvoir d'agir n'est connue qu'à travers ses effets : si on parle de sentiment de la liberté, c'est que l'expérience nous confirme après-coup que nous avons un réel pouvoir sur nos membres. Ce pouvoir nous reste inconnu, nous ne savons pas en quoi il consiste : nous ne faisons que le constater et le déduire à partir de ses effets. [...]
[...] Y a-t-il un sentiment de la liberté ? La liberté, si on la considère comme ce qui nous permet d'agir de notre propre initiative et en dehors de toute contrainte extérieure, apparait comme une donnée essentielle de notre existence. Elle se donne d'abord comme une évidence : quand je veux lever mon bras, je le lève ; je peux, à ma guise, déambuler à travers cette pièce . Toutefois, la liberté ne concerne pas seulement nos mouvements accomplis sans entraves physiques, elle ne cesse de nous renvoyer à nous-mêmes, car elle nous définit comme des êtres capables d'agir, de se déterminer par leur seule initiative. [...]
[...] Il existe un sentiment de la liberté, mais un sentiment indirect. À côté de la certitude intérieure, il y a l'exigence rationnelle de ne pas se bercer d'illusions, de voir que nous n'échappons pas aux déterminations de la nature. Par exemple, l'angoisse, le sentiment qui désigne un état de conscience face à un futur dont elle ne peut comprendre le sens. L'angoisse révèle la liberté à travers un possible dont la nature est indéterminable et qui nous plonge dans la criante de l'inconnu. [...]
[...] A ce titre, si ce sentiment est une croyance, il est plus de l'ordre du senti que du rationnel Comme tout sentiment, il comporte une part d'obscurité qui peut nous faire douter de l'existence effective de ce qu'il prétend exprimer. Néanmoins, ce sentiment, s'il ne peut totalement se justifier, peut être motivé, légitimé à travers ce qui s'offre comme des expériences de la liberté. Certes, on remarque les effets de la liberté, jamais la cause. La liberté ne se manifeste pas en elle-même apparaissant telle qu'elle est en elle-même. [...]
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