De la même façon que le vide est associé à une possible chute ou que la vue d'une araignée à une piqûre, la peur est une émotion ressentie en présence ou dans la perspective d'un danger. D'ailleurs, la tentation expérimentée par Adam et Eve dans les premiers passages de l'Ancien Testament est directement suivie de l'apparition de la peur. Si on en croit Corey Robin , cette émotion aurait été la première en raison de son intensité hors du commun. Et la peur ne bénéficie pas de la meilleure réputation : Montaigne la décrit même comme « le plus mortel obstacle à la liberté et le plus grand des maux menaçant la civilisation ». Elle serait donc a priori une émotion malsaine dont l'homme pourrait aisément se passer.
Pourtant, doit-on toujours considérer ses effets provoqués chez l'homme comme essentiellement néfastes ?
En effet, si la peur a souvent été interprétée comme l'ennemi numéro un à l'épanouissement de l'homme, elle peut néanmoins devenir un moindre mal au regard d'autres situations qui le menacent. Et finalement, n'est-ce pas le propre de l'homme que de rechercher en quelque sorte une peur perdue ?
[...] Et finalement, n'est-ce pas le propre de l'homme que de rechercher en quelque sorte une peur perdue ? A première vue, la peur est systématiquement considérée comme une émotion limitant considérablement la marge d'action des individus, comme le démontrent parfaitement les régimes totalitaires. Que peut faire l'individu victime d'une constante ombre sur ses pensées si ce n'est que ce demander si le résultat de ce qu'il s'apprête à faire est susceptible de compenser les sanctions qu'il se verrait infliger pour avoir transgressé une loi ou une règle ? [...]
[...] On peut alors rapprocher la passion pour le saut à l'élastique à un presque suicide qui apporte la peur nécessaire, d'autant plus si on le rapproche à l'étude du suicide comme défi à la société, cet acte étant interdit pas l'Eglise. La peur, utilisée ici pour soi mais surtout comme vitrine au reste du monde, aurait ici pour objectif de se différencier, d'afficher une liberté d'action et de donc de protester contre une trop grande uniformité. Enfin, la peur viendrait au secours d'une société moderne ayant perdu toute dimension transcendantale. [...]
[...] C'est sur cette application extrême de la peur que se fonde son rejet, pour libérer l'homme de toute oppression possible. Il faut noter que la peur peut également être ressentie par la population de manière diffuse, la paralysant tout autant que si elle était instrumentalisée : cela met en évidence son caractère incontrôlable, témoignant du malaise de l'individu face au monde qui l'entoure. Ainsi, l'écriture de Louis Ferdinand Céline dans Voyage au bout de la nuit[3] est empreinte de l'angoisse des années 1930 (instabilité des niveaux de langue employés, phrases courtes fortement ponctuées ) où l'homme s'engouffre dans une peur (aussi bien au niveau économique avec la Grande Dépression qu'au niveau politique) d'autant plus malsaine qu'elle préfigure en quelque sorte la Seconde Guerre Mondiale, engageant l'homme dans un fatalisme paralysant. [...]
[...] Un voile avait été levé et la population s'en retrouvait galvanisée. Il reste pourtant difficile à admettre que la peur puisse être simplement bénéfique à l'être humain. Dans cette optique, la passion croissante des sociétés modernes révèle donc toute l'ambiguïté de cette émotion, et demande une observation de ses motivations. L'engouement pour le roman gothique au XVIIIe siècle, en s'appuyant sur les mythes de Faust, de Prométhée, du Juif errant et de thématiques infernales, se pose en représentant d'une peur comme signe de contestation dans la littérature. [...]
[...] Peur de la peur et attrait irrésistible vers la peur : cette émotion mal définie puisque subjective reste donc ambiguë, mais permet d'avancer qu'il existe bien une peur saine désirée par l'homme qui lui permet de fuir un aspect trop sécuritaire de son monde ; paradoxalement, il a tendance à se tourner naturellement vers une peur sans risque Corey Robin, La peur. Histoire d'une idée politique, Paris, Armand Colin Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme, Paris, Gallimard Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Gallimard, Folio Thomas Hobbes, Léviathan, Gallimard Judith Shklar, The Liberalism of Fear in : Rosenblum (Nancy), Liberalism and the moral life, Cambridge, Harvard U.P Cf. [...]
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