Il faudra, dans un premier temps, pousser la critique de Valéry à ses extrêmes ce qui aboutira à mettre la littérature en crise par rapport à la vérité : on verra apparaître alors ce que cette crise révèle de la fausseté d'une approche de la vérité en littérature. C'est dans la recherche d'une vérité qui soit de l'ordre de l'intuition, du vécu, et de l'écriture que nous apparaîtra, dans un second temps un rapport singulier et heureux de la littérature à la vérité. De là, nous pourrons enfin essayer d'éclairer l'originalité d'un rapport complexe de la littérature à la vérité, rapport qui mettra en évidence que la cause de l'inexactitude de la critique de Valéry ne résidait pas seulement dans une conception du vrai inadéquate à la littérature, mais aussi dans une conception de la littérature sans doute elle-même erronée.
[...] Il semble donc que la littérature soit passionnée de vérité, au sens où son désir est plein de mouvements de retraits et d'appels par rapport à la vérité, au sens où elle mêle le vrai et le faux et les fait entrer dans une sorte de dialectique dont une vérité pure est toujours l'horizon contemplé. Au-delà de ce phénomène, il semble qu'en littérature, par une dialectique propre, l'illusion soit déterminée, et cette détermination de l'illusion par la littérature la libère de l'opposition entre mensonge et vérité, opposition qu'elle dépasse selon une problématique du mentir- vrai pour reprendre l'expression d'Aragon. L'art est un mensonge qui dit la vérité dit encore Cocteau. [...]
[...] Formulons avec Proust cette vérité : La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature (p894-895) : la vérité n'est plus concevable sans la littérature, qui se définit comme la recherche libre et indéterminée d'une vérité qui est de l'ordre de l'authenticité d'un vécu toujours plus profond. Il semble donc à présent que la littérature soit seule capable de dire le vrai. Ce retournement a été rendu possible parce qu'il est apparu que la définition de la vérité que présupposait Valéry était erronée, que le vrai en littérature n'était pas la surface objective et donnée des choses, mais une authenticité et une profondeur toujours à dévoiler. [...]
[...] Indexer la littérature sur ce rapport pourra finalement se révéler être cause de la condamnation initiale de la littérature, qui demandait à la littérature d'être vraie ou fausse, alors que manifestement le rapport qu'elle tisse avec la vérité est beaucoup plus original et complexe. En premier lieu, il faut considérer que le rapport de la littérature à la vérité n'est pas neutre, ou innocent. Il semble parfois, et cela pourra devenir symbolique du lien complexe que la littérature tisse avec le vrai et le faux, que littérature et vérité s'opposent, mais non dans le sens d'une incapacité de la première par rapport à la seconde, mais dans celui d'une menace que constitue celle-ci sur la première. [...]
[...] Ce qu'il faut enfin voir, c'est l'inadéquation structurelle de la littérature à la réalité. La nature langagière de la littérature la tient irréductiblement à l'écart de la réalité du monde. Le projet d'être vrai dans l'expression, projet de la mimesis, qui fonde la littérature, est un projet proprement inconcevable. Car, sauf à réduire la littérature aux onomatopées, en quel sens peut-elle copier ? Le langage ne peut jamais imiter que le langage, cela semble évident. [...]
[...] Tout le réalisme repose sur un malentendu. C'est tout le sens qu'on peut assigner à la préface de La peau de chagrin. Qu'y montre Balzac ? Que la vérité d'une œuvre littéraire n'est pas à chercher dans les méticuleux aristotélismes par lesquels chaque auteur cherche à être fidèle à la vérité, ni proprement dans l'observation et l'expression qui sont le fait des hommes complets mais avec lesquels nous n'avons pas encore le génie Mais le propre du génie est bien plutôt cette seconde vue qui lui permet de deviner la vérité dans tous les situations possibles cette seconde vue en vertu de laquelle ces génies inventent le vrai, par analogie, où qu'ils voient l'objet à décrire, soit que l'objet vienne à eux, soit qu'ils aillent eux- mêmes vers l'objet. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture