Il est vraisemblable que toute personne recherche spontanément à mener une vie heureuse. Mais celle-ci risque d'être comme le temps pour saint Augustin: si l'on ne cherche pas à la définir, on croit savoir ce qu'elle est, mais il suffit de s'interroger sur ce que peut être le bonheur pour devoir avouer qu'on l'ignore. Avec le plaisir, les choses paraissent plus simples, même si l'on n'obtient le plus souvent, en guise de définition, qu'une succession d'exemples. Mais si les plaisirs se succèdent dans la vie, peut-on espérer parvenir au bonheur ?
[...] Mais elle peut être envisagée selon des modalités différentes. On peut concevoir que les plaisirs successifs soient toujours différents les uns des autres. Une vie se passerait ainsi à goûter successivement aux charmes de l'alcool, des promenades à la campagne, de la gastronomie, de la conduite automobile, de la lecture, du cinéma, etc. Outre qu'un tel papillonnage semble assez peu vraisemblable dans la mesure où chacun semble s'orienter plus volontiers vers certains types de plaisirs plutôt que vouloir goûter à tous, il va de soi que ces plaisirs divers ne pourraient pas être tous également satisfaisants. [...]
[...] Ce plus n'est perçu que relativement à un degré zéro de la satisfaction. [C. Le plaisir est donc momentané ou limité dans le temps] Cette opposition entre le plus du plaisir et le neutre ou le degré zéro de son absence indique que le plaisir ne peut durer indéfiniment. Lorsqu'il a eu lieu, l'ordinaire fait retour, peut-être en attente d'un plaisir ultérieur. S'il est recherché plus ou moins avidement, c'est parce que son défaut produit un désir ou un manque, qu'il devra combler. Le plaisir détermine, lorsqu'il advient, satisfaction et détente. [...]
[...] Un achèvement de la succession ne peut être vécu comme sommet des plaisirs] C'est ainsi par définition que la succession des plaisirs semble toujours déterminer le sentiment d'une insuffisance ou d'un manque, concernant soit le début, soit le moment ultime de la série. En sorte qu'une vie se résumant à une succession de plaisirs apparaît comme constituée de moments de valeur ou d'intensité en réalité inégale. Outre qu'elle ne peut être dispensée de passer par des temps neutres, sans plaisir ni déplaisir particuliers, elle ne présente pas de véritable continuité qualitative dans les plaisirs éprouvés. [...]
[...] Mais la remarque vaut pour tout environnement social: la satisfaction qu'apporte une succession de plaisirs ne concerne qu'un individu particulier, ou que quelques individus (lorsqu'il s'agit de plaisirs partagés). L'assimiler au bonheur, ce serait affirmer qu'un individu contemporain peut être heureux malgré (ou en refoulant) ce qu'il peut savoir de la réalité du mal et de ses multiples avatars dans le monde: un tel bonheur s'accompagnerait donc d'un cynisme ou d'une volonté d'ignorance qui semble peu admissible. [C. La réalité du mal fait du bonheur un idéal ou une utopie] Kant affirme que la plénitude qui accompagne le bonheur ne peut être connue en ce monde où nous ne pouvons, au mieux, que nous rendre dignes d'être heureux en nous efforçant d'agir moralement. [...]
[...] Relativement à cet idéal, on peut toujours qualifier de petits bonheurs les plaisirs accessibles: entre le bonheur complet et ces petits bonheurs dispersés, l'écart suffit à révéler aussi bien le maintien de l'utopie que l'échec ou la nécessité de poursuivre les efforts pour transformer l'utopie en réalité. [...]
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