L'homme semble avide de vérités, peut-être parce qu'elles le rassurent en lui fournissant des repères dans un univers instable. Mais l'histoire des sciences abonde en exemples de vérités qui ne sont que temporaires : les lois changent en fonction de l'avancée des techniques de recherche. En revanche, il existe des domaines ou il semble possible de considérer les vérités comme éternelles : le plus évident est celui de la croyance religieuse (même si son éternité est relative, puisque les religions ont un moment d'apparition).
Il est alors possible d'y trouver le confort que n'offre pas la science. Mais on doit aussi tenir compte de l'existence d'évidences volontiers partagées, qui se réfèrent à une nature des choses échappant au changement; ces éléments idéologiques seraient d'autant plus tenaces qu'ils sont indifférents à la pensée rationnelle.
[...] La science ne répond que lentement, et par des vérités, elles-mêmes annoncées comme temporaires. Il n'est donc pas surprenant que le développement d'une authentique culture scientifique s'accompagne du développement parallèle d'un recours massif à des vérités, révélées ou non, qui ont l'avantage de ne pouvoir être mises en doute, et viennent combler une attente. Mais ce processus ne se manifeste pas seulement par des dogmes religieux. Il prend, dans la mentalité, des formes d'autant plus troublantes qu'elles sont moins ouvertement déclarées. [...]
[...] Ce n'est ainsi qu'à partir du moment où "vrai" qualifie, non plus des faits ou des aspects de ce qui est considéré comme réel, mais les jugements élaborés à propos de ce dernier, que la vérité se manifeste comme une conquête de l'esprit humain. Cela ne fait cependant que confirmer le désir de construire des vérités durables. Ensuite, l'illusion de la vérité définitive s'est manifestée dans les sciences. Que la vérité soit due à l'activité de l'esprit, et non plus au dévoilement du monde par lui-même, ne signifie pas immédiatement que les vérités qu'il élabore sont reconnues comme temporaires. [...]
[...] Un tel sous-sol idéologique est d'autant plus difficile à faire disparaître qu'il peut aller de pair avec la reconnaissance de caractère historique de vérités (notamment scientifiques), pourvu qu'elles ne semblent pas concerner la définition essentielle de l'homme, de la société ou de la morale. Enfin, l'idéologie est plus difficile à combattre que l'erreur. La vérité corrigée apparaît comme une erreur. L'idéologie détruite, si c'est possible, est une défaite, parce qu'elle met en jeu des intérêts ou des valeurs concernant la conception qu'un individu a de sa propre existence. Les vérités, notamment scientifiques, nous donnent une représentation du réel. Mais ce dernier ne nous concerne le plus souvent que de loin: il n'interfère pas directement dans nos choix de vie. [...]
[...] Comment concilier éternel et temporaire? La cohabitation entre des vérités si dissemblables n'est pas si simple. Alors même que Galilée pensait que l'accumulation des vérités de raison qu'il découvrait ne pouvait qu'inciter à admirer davantage la puissance créatrice de Dieu, ce n'est que récemment que les autorités du Vatican ont fait savoir que son astronomie était compatible avec la foi. Et la position d'un Averroès, qui montre dans son Traité décisif qu'il est possible d'unir raison et croyance puisqu'elles ne diffèrent que d'un point de vue théorique mais aboutissent dans la pratique à des résultats convergents, est bien éloignée de celle des partisans du créationnisme. [...]
[...] Il en résulte bien que toute vérité scientifique est temporaire, soit qu'elle n'apparaisse plus comme la seule possible dans un domaine, soit qu'elle doive être remplacée par une nouvelle. Ce qui est ainsi admis dans les sciences, et qui a pour conséquence qu'elles sont a priori inachevables, est-il reconnu ailleurs? Dans un deuxième temps, la prétendue des vérités révélées est intemporelle. Comment se justifie l'intemporalité? Les vérités de la religion (du moins celles du monothéisme) sont pour leur part affirmées, par les croyants, comme intangibles, intemporelles, impossibles à modifier. [...]
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