Nous sommes ici interrogés sur un acte, un processus : celui qui consiste à « diviniser » la vérité. De quoi s'agit-il exactement ?
Diviniser, c'est attribuer l'essence ou la nature divine, mettre au rang des dieux ; c'est également revêtit d'un caractère sacré. L'objet de ce processus de sanctification est ici la vérité. Que désigne cette notion ? En ses diverses acceptations, elle s'oppose à l'erreur et à la fausseté. La vérité, en général, c'est la conformité de la pensée avec l'objet de la pensée (...)
[...] Nous faisons comme si la vérité recélait une dimension unitaire, absolue, comme si elle était revêtue d'un caractère de stabilité et d'éternité. La vérité est alors conçue comme une déesse et nous fait un peu penser à la Justice. Cette divinisation rassure, réconforte. Quand les vérités cèdent la place à la vérité une, universelle divine, l'esprit humain est apaisé devant cette rassurante stabilité. On pourrait songer ici à des illustrations fréquentes de ce processus Le savant qui procède à des recherches sacralise quelque peu sa vérité mathématique ou physique. [...]
[...] Si la vérité est totale, il faut alors l'imposer par tous les moyens, quels qu'ils soient. Tuons en nous le doute, tuons en autrui le doute puisque la vérité désigne le divin descendu sur la terre. Ainsi, il semble bien que diviniser la vérité soit pêcher contre l'esprit, contre la liberté, contre l'essence humaine. Toutefois, on peut se demander ici si l'aspiration à découvrir une vérité une ne peut être reliée à une exigence de liberté et de doute. Une synthèse n'est-elle pas ici possible. [...]
[...] Alors, la violence de l'unité se fait violence contre soi-même et contre l'esprit. C'est le pêché suprême contre l'esprit, l'arrachement au principe spirituel. Toutefois, l'aspiration à l'unité de la vérité, qui se manifeste dans le processus de la divinisation, ne contient pas seulement des aspects négatifs. L'homme pourrait-il accepter l'émiettement des vérités, la pluralité absolue des savoirs, l'atomisation du vrai? Cette atomisation nous conduirait à la saisie d'un monde littéralement en morceaux. Dans tout énoncé d'une proposition qui se veut vraie, il y a un élément d'universalité. [...]
[...] Diviniser la vérité, la concevoir comme une et universelle, n'est-ce point pêcher contre l'esprit? Qu'est-ce que l'esprit? L'étymologie du terme nous renvoie à l'idée d'un souffle (spiritus) que l'on opposera plus tard à la chair ou à la matière. Cet esprit, ce principe de la pensée, il consiste à ne jamais adhérer au réel. L'esprit désigne cette puissance d'échapper à toute structure intellectuelle figée. L'esprit Est-ce qui dépend de soi-même, ce qui s'arrache à soi-même et aux choses. Il en résulte que l'esprit désigne un effort constant pour détacher le sujet de l'objet: l'essence de l'esprit c'est le doute, l'inquiétude infinie par laquelle la conscience refuse de s'immerger dans ses déterminations. [...]
[...] En quoi cette divinisation de la vérité pècherait-elle contre l'esprit? Pêcher contre l'esprit, c'est contrevenir, par un acte conscient, aux volontés divines et offenser le principe même de la pensée. Quand nous unifions nos vérités dans la Vérité, nous les rassemblons de manière satisfaisante pour l'esprit, nous unifions ce qui est disjoint et nous conférons un sens à notre existence en l'intégrant dans une vérité une et universelle. En quoi alors pêchons-nous contre l'esprit alors que la grande synthèse où nous unifions nos idées, la lumière véritable où nous nous retrouvons semblent au contraire permettre l'exercice de la pensée ? [...]
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