Érasme, l'Éloge de la folie, Rabelais, Thomas More, maîtres de rhétorique
Érasme est un ami de More. Ce dernier explique qu'il écrit L'Utopie pour faire diptyque avec l'Éloge de la folie. Cerner les spécificités de cet éloge original, écrit semble-t-il chez More lui-même, permet d'éclairer quelques-uns des enjeux de l'oeuvre de Thomas More.
L'homme Érasme (1469-1536). Moine hollandais, travailleur infatigable, il parcourt toute l'Europe et laisse une oeuvre abondante et protéiforme. II n'est pas seulement un érudit, ce « prince de l'humanisme » a surtout légué un état d'esprit, « l'érasmisme », ou évangélisme pacifiste : dans une époque où les dogmes et les idéologies se combattent avec âpreté, surtout à l'intérieur du christianisme, et alors que Henri VIII, Charles Quint et François Ier rivalisent pour imposer leurs sphères d'influence, Érasme se fait l'apôtre de la tolérance et de la paix enseignées par le message évangélique.
[...] L'homme Thomas More (1478-1535) Anglais, bourgeois d'origine, il fait des études de droit. D'une intelligence brillante, il multiplie, sans les rechercher, les promotions, les distinctions, les honneurs, jusqu'à devenir chancelier du roi de 1529 à 1532. Mais il n'accepte aucune compromission avec le pouvoir ; il démissionne de son poste de chancelier en 1532. Son double refus, le premier de paraître au sacre d'Anne Boleyn (1533), le second de reconnaître Henri VIII comme chef de l'Église anglicane, ceci pour rester fidèle à ses convictions de catholique romain, amène Henri VIII à le condamner à mort et à le faire exécuter. [...]
[...] Par travail il faut comprendre les tâches nécessaires à la satisfaction des besoins vitaux. L'agriculture est l'activité privilégiée, mais chaque Utopien est aussi un artisan capable de tisser, de bâtir de forger etc. Par souci d'équité et de diversité, l'alternance des tâches est systématique. Trois heures de travail le matin, trois autres l'après midi, coupées par deux heures de repos, organisent la journée. Six heures de travail quotidien suffisent parce que tous travaillent sans exception, femmes comme hommes ; les ecclésiastiques parasites, les nobles oisifs, les mendiants paresseux n'existent pas. [...]
[...] Mais Thomas More ne propose pas un modèle à traduire en actes à imiter tel quel. Cette œuvre est un jeu littéraire : les multiples fantaisies qui ponctuent l'œuvre se veulent ludiques, mais elles s'avèrent surtout subversives. Par l'Utopie, le lecteur intelligent doit prendre conscience des multiples dysfonctionnements et injustices qui ravagent l'Angleterre et l'Europe du XVIe siècle. Il est ensuite invité à retourner dans la réalité du monde pour se battre contre des aberrations qui sont devenues inacceptables depuis qu'elles lui ont été révélées. [...]
[...] Est-il possible de faire l'éloge de ce que l'opinion commune considère comme une ineptie, voire une tare ? Cet exercice de rhétorique original est très prisé par les humanistes, notamment Rabelais ; on le trouve déjà dans la Grèce ancienne. Les premiers mots, C'est la Folie qui parle définissent l'ouvrage, rédigé en latin, comme une vaste prosopopée, une déclamation qui se fait souvent pastiche voire parodie d'une homélie. Faire parler la folie c'est s'autoriser à tout dire, les pires sottises, les contradictions les plus aberrantes, mais aussi les vérités les plus audacieuses, un peu dans la tradition du fou du roi Ce parti pris de l'écriture rend l'œuvre difficile d'accès, d'autant plus qu'elle est truffée d'allusions littéraires érudites absconses pour le lecteur contemporain. [...]
[...] More rédige d'abord, en latin, le second tome & Utopia en 1515, semble-t-il pour meubler le temps que lui laisse une mission diplomatique laborieuse en Flandre ; le premier tome est rédigé en 1516. Il entre beaucoup de fantaisie dans cette œuvre ; il en parle ainsi : Une bagatelle littéraire échappée presque à mon insu de ma plume Il est indéniable que More s'est amusé en composant son ouvrage. Mais la fantaisie d'un récit n'exclut pas les messages les plus audacieux, elle peut au contraire se mettre au service de l'audace, ce que Marthe Robert traduit dans sa remarquable formule : Les histoires à dormir debout sont celles qui tiennent le mieux éveillé (Roman des origines et Origines du roman, 1972). [...]
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