L’usage de la Mémoire

Résumé du document

La tempe ensanglantée du buste de marbre, que représente en 1942 le peintre René Magritte en guise d'allégorie de la Mémoire, rappelle dans l'évidence de ce tableau sans ombres que nous ne retenons que ce qui nous « frappe », nous meurtrit et nous heurte douloureusement : la Mémoire ne va pas sans mal.
Est-ce à dire que nous ne retenons du passé que les traumatismes ?
Ceux de l'enfance comme ceux de l'histoire collective ?
Rien n'est moins sûr . Freud détaille, au début du vingtième siècle, le mécanisme du refoulement qui enfouit dans l'inconscient du sujet le souvenir des évènements choquants et, sur le plan collectif, il faut attendre souvent longtemps pour que Peuples et Nations, ou les Etats qui les encadrent, reconnaissent compromissions ou bassesses qui ont fait aussi leur histoire : quelle lenteur à faire entrer Vichy dans nos livres…à reconnaître la responsabilité de l'Etat français dans certaines tragédies du vingtième siècle, celle des colons américains dans le massacre des indiens ou de l'Etat turc dans le génocide des arméniens . Quelle solitude fut, par exemple, celle de Gide « de retour d'URSS » !

Extraits

[...] Plus fondamentalement, la Modernité dans le rejet de la tradition remet en cause l'usage de la Mémoire. On le perçoit nettement dès 1637, date importante puisqu'elle associe Le Cid qui célèbre l'émancipation de la jeunesse et Le Discours de la Méthode qui débute par une attaque en règle contre la pédagogie ancienne fondée sur la mémorisation des connaissances, véritable topo de cette jeune modernité ( Rabelais , Montaigne). Comme le rappelle Le Goff dans Histoire et Mémoire, publié en 1988, Descartes montre qu'il est possible de progresser dans la connaissance par le moyen d'une réduction des choses aux causes et que par conséquent il n'est nul besoin de la mémoire pour toutes les sciences. [...]

[...] Car la Une d'aujourd'hui chasse celle d'hier. On en vient à d'étranges commémorations, celles qui conduisent par exemple des vétérans du débarquement allié en Normandie à assister à des cérémonies que préside aux côtés des principaux représentants des vainqueurs d'hier le Chancelier allemand d'aujourd'hui. De quel évènement entretient-on alors la mémoire ? [...]

[...] C'est ainsi qu'il faut sans doute entendre l'appel du 12 novembre lancé par David Rousset à tous les anciens déportés des camps nazis pour qu'ils témoignent afin, non de rappeler l'horreur du passé, mais d'empêcher celle du présent, en l'occurrence celle des camps staliniens. En conclusion il convient de rappeler que l'époque ne cesse d'interroger l'usage de la mémoire. Elle le fait de manière contradictoire, alternant les appels et les révocations. De fait notre monde des images et de l'info en continu ne se prête qu'à une forme ambiguë de la mémoire, celle qui ne dure qu'une minute, la minute de silence sans doute. [...]

[...] Rien n'est moins sûr. Freud détaille, au début du vingtième siècle, le mécanisme du refoulement qui enfouit dans l'inconscient du sujet le souvenir des évènements choquants et, sur le plan collectif, il faut attendre souvent longtemps pour que Peuples et Nations, ou les Etats qui les encadrent, reconnaissent compromissions ou bassesses qui ont fait aussi leur histoire : quelle lenteur à faire entrer Vichy dans nos livres à reconnaître la responsabilité de l'Etat français dans certaines tragédies du vingtième siècle, celle des colons américains dans le massacre des Indiens ou de l'Etat turc dans le génocide des Arméniens . [...]

[...] Souvenir est plutôt un refus de s'adapter, et une volonté de tenir l'homme en situation de roi. Qui se souvient fait des immortels. De fait ce que nous appelons Mémoire renvoie, pour l'homme, à une double réalité : Celle de l'empreinte sensible laissée par l'expérience vécue et qui permet, par exemple, involontairement, de retrouver dans le goût d'une petite madeleine le Temps Perdu de l'enfance et puis celle du jugement de valeur, ce qui a eu lieu vaut que je m'en souvienne , que je m'efforce d'en entretenir le souvenir pas de Mémoire alors sans Culte. [...]