De par son étymologie (« tripalium » signifiant en latin « chevalet de torture »), la notion de travail apparaît d'ores et déjà contradictoire avec l'idée bonheur. Alors que dans l'antiquité et dans une société d'ordres travailler était contraire au prestige social, aujourd'hui l'emploi est un élément discriminant. Outre une population dite inactive et une population dite « au chômage », c'est-à-dire à la recherche d'un emploi, on voit apparaître dans la société une catégorie sociale de « travailleurs pauvres » ainsi que de nombreux emplois « précaires ». Dès lors, devenu élément central constitutif à la fois du mode de vie et du niveau de vie, le travail apparaît aujourd'hui non comme un jardin d'Eden mais plus comme la source de conflictualités, d'inquiétudes, et de morosité.
De fait, bonheur et travail ne semblent donc pas aller de pair. Parvenir à un état moral où règne le « beau et le bon », caractéristiques d'un bonheur du « juste milieu », du « bon équilibre », n'est pas chose facile. Notion polymorphe et polysémique selon les individus, le bonheur peut néanmoins s'accorder au travail dans la mesure où l'activité productive peut également être une activité créatrice, une activité féconde, source surtout de satisfaction multiple des besoins.
Mais si, dans nos sociétés contemporaines, « vouloir-vivre heureux » est une véritable injonction morale ainsi qu'un impératif catégorique, du fait du règne des publicités, de la mode, et des écrans de télévision, il paraît dès lors incohérent de chercher dans le travail une source possible de bonheur. Dès lors, si le travail est devenu une source importante de l'identité sociale et de l'épanouissement individuel, il est aussi un enjeu de luttes, une revendication sociale, et un instrument de pouvoir. Affublé des critiques de la tradition chrétienne et de l'orthodoxie marxiste, le travail ne se concilie donc finalement pas aisément avec le bonheur, individuel comme collectif.
A l'heure où le travail est devenu dans le langage des sciences économiques et de la vie sociale ce que l'on nomme par « activité professionnelle » ; travailler bien, pour être heureux, n'est pas commun à tous. Ainsi, pour un quart des Français seulement, l'activité professionnelle est en elle-même une part du bonheur.
[...] D'autre part l'activité professionnelle a été soumise dans toutes ses dimensions et toutes ses possibilités à des mutations profondes qui ont rendu plus difficile la réalisation du bonheur. D'une certaine manière, le travail se réinventant dans la période contemporaine, ce sont toutes les conceptions traditionnelles du bonheur qui pourraient être remises en cause. C'est finalement dans un arbitrage individuel rationnel entre temps de travail et temps de loisir, rendu possible par un rapport harmonieux à son activité, que pourrait être trouvé la source d'un possible épanouissement par le travail. [...]
[...] En ce sens, sans travail, les hommes qui ne travaillent pas ne pourraient parvenir à connaître le bonheur. En dépit de la tradition antique qui faisait du non-travail l'apanage des maîtres et du travail, domaine servile, celui des métèques ou des esclaves, l'activité est aujourd'hui un lieu privilégié et fort valorisé de la vie économique et sociale. La France, qui dispose d'un taux de chômage relativement important par rapport à ses voisins européens comme l'Allemagne, met ainsi régulièrement en place des politiques économiques spécifiques qui visent directement à diminuer le taux de chômage. [...]
[...] Quand certaines professions et catégories socio - professionnelles parviennent à articuler harmonieusement une forte proportion de capital social, économique, et culturel, on peut considérer qu'elles assurent et permettent la réalisation du bonheur. D'une certaine manière, l'invention du salariat est ainsi ce qui a contribué à l'invention du chômage, comme catégorie économique et sociale, et à la formation de travailleurs pauvres C'est notamment une des thèses de Serge Paugam dans son analyse Le Salariat de la précarité. À la lecture de ces analyses du malheur au travail les Français qui pensent leur profession comme source à part entière de bonheur pourraient être considérés comme des privilégiés. [...]
[...] De fait, ils soulignent l'importance que prend le travail dans notre société. Il permet notamment de rester debout, en vie, digne de sa condition d'homme. Dès lors, ne devrait-on pas remettre en cause aujourd'hui en France les politiques économiques de l'emploi en ce qu'elles ne prennent pas suffisamment en compte l'importance du travail comme source d'épanouissement personnel et non pas seulement comme source de revenus ? Bibliographie - "travailler pour être heureux". Christian Baudelot. - "l'éthique protestante et l'esprit du capitalisme". [...]
[...] - "le salariat de la précarité". Serge Paugam. - "la misère du monde". Pierre Bourdieu. Autres - "ressources humaines" (film). Laurent Cantet. Sortie 1999. [...]
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