L'oeuvre d'art bénéficie en général d'un tel halo de respectabilité que l'on peut hésiter à la considérer comme résultant aussi d'un travail. Pourtant, ce que l'on y admire ne peut être produit sans efforts, et nombreux sont d'ailleurs les artistes qui, pour lutter contre ce que les théories de l'"inspiration" semblent suggérer de facilité ou de "don du ciel", soulignent les difficultés de leur activité. Il n'en reste pas moins que l'unicité (même relative) de l'oeuvre s'oppose à la production en série, et que, si cette dernière est destinée à la consommation, l'oeuvre semble bénéficier d'une indifférence au temps. Cela suffit-il pour ignorer le travail spécifique dont elle est l'achèvement ?
[...] Les objections restent nombreuses: l'art est peut-être un travail, mais ses conditions ne sont quand même pas comparables à celles d'un ouvrier à la chaîne. Les artistes disposent de leur emploi du temps, ils ne sont pas soumis aux cadences infernales, et ils font quand même ce qu'ils veulent ou ce qu'ils aiment. On veut bien reconnaître qu'ils travaillent, mais d'une façon bien étrange. D'ailleurs, leurs oeuvres, quelle que soit la peine qu'ils ont pu avoir à les mettre au point, sont-elles des produits comme les autres? [...]
[...] L'oeuvre d'art est-elle le produit d'un travail? L'oeuvre d'art bénéficie en général d'un tel halo de respectabilité que l'on peut hésiter à la considérer comme résultant aussi d'un travail. Pourtant, ce que l'on y admire ne peut être produit sans efforts, et nombreux sont d'ailleurs les artistes qui, pour lutter contre ce que les théories de l'"inspiration" semblent suggérer de facilité ou de "don du ciel", soulignent les difficultés de leur activité. Il n'en reste pas moins que l'unicité (même relative) de l'oeuvre s'oppose à la production en série, et que, si cette dernière est destinée à la consommation, l'oeuvre semble bénéficier d'une indifférence au temps. [...]
[...] Mais une oeuvre dégradée est conservée, alors qu'un produit dégradé n'est plus bon à rien. Il est utile de souligner l'existence d'un authentique travail dans l'art, ne serait-ce que pour dénoncer les mythologies de l'artiste "doué", "insouciant" ou loin du monde, et ce, même si son travail est très particulier puisque, tout en concernant un matériau, il y importe un aspect spirituel qui fait défaut à la production du travail ordinaire. Quant à l'oeuvre, elle s'écarte du produit, non seulement parce qu'elle n'est pas destinée à la consommation, mais surtout parce qu'elle est durablement porteuse d'un sens ouvert aux interprétations. [...]
[...] Toutefois, comme la séduction ainsi exercée dissimule la réalité du travail, on ne peut en déduire qu'il y aurait, pour le public, moins de travail dans les toiles de Picasso que dans celle de Magritte ou de Dali . Tout se passant, par la grâce du don, comme s'il n'y en avait nulle part. Les artistes aux-mêmes témoignent de la réalité du travail. Ils ont tout d'abord longuement été confondus avec les artisans. Les artistes ne sont-ils pas, au moins en partie, responsables de cet oubli fréquent? [...]
[...] Dans La Condition de l'homme moderne, Hannah Arendt oppose fortement le produit du travail et l'oeuvre: le premier, parce qu'il ne peut que confirmer le cercle production-consommation, est simple "consentement à la nature" puisqu'il est lié à la sphère des besoins et à la satisfaction rapide. Au contraire, l'oeuvre nous délivre (momentanément) de la nécessité, puisqu'elle est "inutile". Enfin, l'oeuvre n'est pas soumise au temps comme le produit. Défini par sa fonction, le produit est à la fois situé historiquement et restreint à une seule signification. Retrouver un produit ancien, c'est découvrir un document (sur les techniques de fabrication, les matériaux utilisés, l'insuffisance du design . ) Découvrir une oeuvre ancienne, c'est rencontrer des possibilités de signification qui excèdent de très loin la portée documentaire. [...]
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