Nul doute que nous soyons nombreux à souhaiter n'avoir pas à travailler : le travail tend à nous apparaître comme une contrainte sociale déplaisante et pénible. Il faut travailler à l'école, puis il faudra trouver un emploi pour gagner sa vie et prendre ainsi sa place dans la société, au point que la majeure partie de notre vie semble placée sous le signe du travail. Or le travail est avant tout une activité impliquant de se soumettre à des règles dont on ne décide pas : il y a un savoir-faire à acquérir, des procédures et des procédés de fabrication respectés ; en un mot, je ne peux pas faire n'importe quoi, comme bon me semble, si je veux parvenir au résultat escompté. S'adonner à un travail, c'est donc toujours se plier à des exigences qui ne dépendent nullement de notre libre arbitre, mais qui semble au contraire venir le brider. Pour autant, le travail est-il pour l'homme un obstacle la liberté ? Car enfin, c'est bien aussi parce que je travaille que je peux me rendre indépendant de la tutelle d'autrui, produire par moi-même ce qui est nécessaire à ma subsistance et à mon bien-être, et ainsi avoir les moyens de mener ma vie comme je l'entends, sans plus dépendre désormais du bon vouloir des autres.
Encore faudrait-il cependant que la liberté fut bien ce que nous avons jusqu'ici présupposé qu'elle était : pouvoir faire ce qu'on désire, c'est-à-dire finalement ce qui nous plait, sans obstacles ni limites. Telle est sans doute bien l'entente la plus ordinaire de la liberté ; mais pour commune qu'elle soit, elle demeure fortement contestable : sans aucun doute, travailler est une nécessité sociale (et même, on pourra le montrer, une nécessité vitale) ; sans doute aussi, je ne décide pas des techniques à mettre en œuvre quand je travaille ; mais est-ce que je décide davantage de mes besoins et de mes désirs en général ? Est-il en mon pouvoir de désirer ceci plutôt que cela ? A dire vrai, il s'agit là d'impulsions qui toujours s'imposent et tendent tyranniquement à faire la loi en nous. Le rapport que le travail entretient avec la liberté doit alors nous apparaître sous un jour nouveau : peut-être est-ce précisément parce que le travail est une discipline et un effort de soi sur soi que, loin de faire obstacle à la liberté humaine, il pourrait bien en être au contraire sinon l'accomplissement plénier, du moins le nécessaire chemin. C'est du moins ce qu'il conviendra d'examiner.
[...] Que m'importe en effet si c'est pour devenir l'esclave de moi-même ? Le reproche est finalement platonicien : d'une part, il n'est pas certain que la vie en commun se résume à faciliter les échanges et la coopération économique ; d'autre part et surtout, il est tout aussi incertain que la satisfaction des désirs soit en elle-même une libération. Peut-être la liberté dont le travail est la promesse est-elle plus et autre : si le travail me permet d'échapper à la domination d'autrui tout en me rendant dépendant de mes semblables eux aussi au travail, il faudrait sans doute prendre au sérieux la maitrise qu'il me permet d'acquérir aussi bien sur la nature que sur moi- même. [...]
[...] L'homme va cultiver des champs, mais il faut à l'agriculteur des outils, dont la production réclame elle aussi certains savoir-faire particuliers : aussi faudra-t-il des forgerons, des menuisiers, etc. Ce qu'il faut ici remarquer, c'est que le travail génère alors de nouveaux besoins, qui pour être satisfaits réclameront à leur tour un travail spécifique. Ainsi, des besoins de plus en plus divers expliquent-ils une diversité des métiers elle-même toujours accrue : se dessine alors une communauté d'échanges où chacun participe, à son ordre et mesure, à la satisfaction des besoins de tous. [...]
[...] Il faudrait alors soutenir que c'est bien plutôt dans la résistance de la volonté à l'égard des désirs que la liberté se manifeste vraiment. Le rapport que le travail entretient avec la liberté doit alors nous apparaître sous un jour nouveau : peut être est-ce précisément parce que le travail est une discipline et un effort de soi sur soi que, loin de faire obstacle à la liberté humaine, il pourrait bien en être au contraire sinon l'accomplissement plénier, du moins le nécessaire chemin. [...]
[...] Le travail est-il pour l'homme un obstacle à la liberté ? Introduction Nul doute que nous soyons nombreux à souhaiter n'avoir pas à travailler : le travail tend à nous apparaître comme une contrainte sociale déplaisante et pénible. Il faut travailler à l'école, puis il faudra trouver un emploi pour gagner sa vie et prendre ainsi sa place dans la société, au point que la majeure partie de notre vie semble placée sous le signe du travail. Or le travail est avant tout une activité impliquant de se soumettre à des règles dont on ne décide pas : il y a un savoir-faire à acquérir, des procédures et des procédés de fabrication respectés ; en un mot, je ne peux pas faire n'importe quoi, comme bon me semble, si je veux parvenir au résultat escompté. [...]
[...] Lequel est alors le plus libre des deux ? On serait tenté de penser que c'est le maître qui voit le moindre de ses caprices être immédiatement satisfait sans avoir à faire quoi que ce soit pour cela. Pourtant, à l'examen, il n'en va pas ainsi. C'est le travail, d'instrument de contrainte, devient au terme du processus dialectique la marque de la liberté véritable : alors que le maître, à qui désirer ne coute rien, devient prisonnier de son désir lui-même, et de l'esclave qui travaille à le satisfaire, l'esclave quant à lui apprend dans la patience et le travail du négatif à se dominer lui-même comme il apprend à dominer l'extériorité. [...]
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