Aujourd'hui, dans une société régie par le travail, réside un paradoxe : on vit avec l'intime conviction de ne travailler que pour subvenir à ses besoins, mais on se présente aux autres en énonçant en premier sa profession. Encore récemment dans des sociétés traditionnelles, si l'on décidait d'accepter le mariage d'une de ses filles, c'est en tenant compte de la profession des parents du prétendant, plus que leur richesse. Si chacun dispose nécessairement d'une identité personnelle, il n'en est pas de même pour le travail. Du reste, en quoi un moyen de subsistance dans un système de cohabitation par l'échange, en d'autres termes en quoi notre capacité d'acceptation et d'adaptation à un milieu donné peut-elle être considérée comme le reflet d'une identité propre ?
[...] Le travail devient un outil d'interaction sociale à part entière, voire un code d'identité auquel nul ne peut échapper sous peine d'exclusion. Mais si le travail peut certainement être le support de l'identité personnelle, il en devient même une condition nécessaire, jusqu'à parfois exister en vue de cette fin seule : en effet, au sein une société postrévolutionnaire marquée par l'abolition des privilèges et un certain égalitarisme social, l'utilité de l'individu, définie par ses compétences de travail, fait sa valeur intrinsèque. [...]
[...] Puisque la valeur d'un individu est rattachée à son utilité, plus il est précieux à la société Nous avons donc pu voir à travers plusieurs exemples qu'un individu au sein d'une société ne peut se constituer une identité personnelle qu'à travers le travail qu'il exerce, le faisant appartenir à une catégorie hiérarchisée. Il est important de préciser que de nos jours ce n'est pas tant la question de savoir quel travail l'on exerce, que celle de savoir SI l'on en exerce un, dans la mesure où bien des emplois ne permettent pas de refléter l'individualité de l'acteur en question. [...]
[...] Mais il convient de reconnaître dans le travail l'étiquette par excellence, le moyen direct de percevoir l'individu étranger, plus que le support d'un accomplissement de soi. Il s'agirait même en quelque sorte d'un tribut à payer, quelle qu'en soit la nature, pour être tout simplement reconnu en tant qu'individu. Si le travail est profondément inscrit dans la condition humaine Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front Genèse), et ce en raison d'une nature ingrate, -le mythe de Prométhée illustre la nécessité du travail chez l'homme en raison la pauvreté de ses atouts physiques, devenant in fine l'arme parmi les armes il va logiquement de soi que si l'homme survit, c'est qu'il travaille, le travail faisant partie intégrante de son existence, encore aujourd'hui dans une société égalitaire où les privilèges ont été abolis : de même qu'il qu'il mange, qu'il dort, se lave, il travaille pour pouvoir continuer à faire les choses qui précèdent. [...]
[...] La notion de travail n'est donc pas dénuée d'un certain facteur hasardeux, contingent. Si autrefois le travail se léguait en même temps qu'un nom et des biens, ce qui nous rendait en quelque sorte prédestinés à un métier quelconque en raison des parents dont on descend, il s'acquiert individuellement, et ce, de manière encore moins personnelle, puisqu'elle est même étrangère à la notion d'appartenance familiale. En ce sens là, il est normal de penser qu'un individu que l'on a apprivoisé, qu'il s'agisse d'un membre de la famille ou d'un personnage de roman, est plus intéressant par sa personnalité, son vécu, en un mot son individualité, que par la nature de son emploi actuel. [...]
[...] Ici la valeur symbolique du travail dépasse largement sa fonction initiale. En effet, le travail, qui touche la quasi-totalité de la population, détermine non seulement un type de revenu précis, mais également un milieu social déterminé. Ainsi, le milieu socio-professionnel devient un groupe secondaire après la famille et le cercle intime, déterminant par la suite la formation de nouveaux foyers, comme le démontrent de nombreuses études sociologiques sur la propension à épouser des individus de même catégorie socio-professionnelle. Ainsi, le mode de vie et le milieu social sont finalement déterminés par le travail, si bien que non seulement l'individu peut établir son identité personnelle en travaillant, mais c'est le travail qui définira entièrement son identité sociale en tant qu'individu, et in fine personnelle. [...]
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