La psychanalyse a défini l'œuvre d'art comme un moyen de sublimer certaines pulsions, c'est-à-dire la tentation refoulée de transgression des interdits, des tabous. Cette approche a pu être critiquée dans la mesure où elle réduit l'œuvre d'art à cette dialectique de la transgression et de sa sublimation. L'œuvre d'art, en effet, est-elle nécessairement un lieu où s'opère une transgression, entendue comme l'intention, délibérée ou non, d'outrepasser les limites fixées par la communauté, au sein de laquelle elle émerge ?
Si l'émergence de l'œuvre d'art coïncide avec l'émergence d'une conscience de la transgression, il peut sembler logique d'en déduire que toute véritable œuvre d'art est en elle-même une transgression. C'est ce que fait Antonin Artaud dans son ouvrage "Le théâtre et son double", qui prône le « théâtre de la cruauté ».
Il faut selon lui remonter aux origines de l'œuvre d'art, qui sont intrinsèquement transgressives, sacrificielles. Le théâtre est le lieu où peut émerger une œuvre d'art totale, comparable à un rite sacrificiel. Artaud prend l'exemple du théâtre de Bali, dont les costumes à formes géométriques bien particulières lui semblent les plus propres à suggérer cette transgression. Selon lui, la suggestion est plus efficace que la représentation, dans la mesure où elle reste au plus près de l'origine transgressive de l'œuvre d'art.
[...] C'est à l'époque où l'œuvre d'art semble la moins soumise à des codes, formels ou ayant trait au contenu représentatif, que, paradoxalement, son potentiel transgressif semble le plus neutralisé, par son inscription dans un contexte institutionnel : en ce sens, l'œuvre d'art n'est pas nécessairement un lieu de la transgression. Des expériences comme le Bio-art, néanmoins, qui ont conduit certains artistes à mêler leur propre ADN à celui des fleurs, semblent indiquer que la tentation de la transgression de nouveaux tabous, découlant de l'évolution technologique (en l'occurrence ceux liés aux manipulations génétiques) demeure bien présente dans l'art. Sources Georges Bataille, La peinture préhistorique. Lascaux ou la naissance de l'art. [...]
[...] Mais elle peut aussi être conçue comme une tentative de réintégrer la transgression dans les limites du raisonnable : c'est, dans la perspective de Freud, la fonction de la sublimation. Dans Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci, celui-ci décèle dans un tableau du maître représentant une Vierge à l'enfant un indice de l'homosexualité refoulée du peintre. Ainsi, même lorsqu'elle se fait lieu du sacré, l'œuvre d'art continue d'avoir partie liée avec la transgression, qui n'est précisément que le revers du sacré. [...]
[...] L'œuvre d'art n'est ni sacrée, ni transgressive par elle- même, mais seulement en fonction de la place qui lui est accordée. Le ready- made de Marcel Duchamp représentant une cuvette de toilettes n'est transgressif que dans la mesure où l'on considère que l'art est appelé à une fonction plus noble que de représenter un objet aussi trivial. La relativité de la transgression Plus précisément, il apparaît transgressif dans la mesure où l'on considère que la fonction de l'œuvre d'art est de représenter, ou de suggérer, sous- entendu d'avoir un impact sur la réalité, ce qui ne va pas de soi, comme le montre Anne Cauquelin dans L'art contemporain : les œuvres de Duchamp ont précisément pour objet, non pas de représenter ou d'exprimer quelque chose, mais de montrer la place de l'art, de montrer comment il acquiert sa place parmi les autres réalités, par le simple fait de s'inscrire dans un lieu de l'art comme le musée ou l'exposition. [...]
[...] Cette dernière, si l'on adopte la perspective de Régis Debray, conduit à la conception de Kandinsky et de Klee selon laquelle l'art est amené à prendre la place de la religion, c'est-à-dire à devenir le lieu propre de l'émergence du sacré, et non plus seulement de sa représentation. Les Compositions de Kandinsky peuvent en ce sens apparaître comme une présentation abstraite de cette limite entre ce qui est sacré et ce qui ne l'est pas : elles se caractérisent en effet par une division rigoureuse entre le supérieur (qui symbolise la spiritualité) et l'inférieur (qui symbolise la matérialité). Freud et la sublimation de la transgression L'œuvre d'art, en quelque sorte, montre la limite entre la transgression et son contraire, le sacré. [...]
[...] Mais ce sont les limites mêmes de la vie humaine que transgresse l'art des premiers hommes : les petits chevaux sur lesquels s'abat une pluie de flèches témoignent d'une conscience, certes, de la fragilité de la vie, mais aussi du pouvoir de donner la mort conféré par les armes. Dans le dessin, cette transgression est affirmée tout en étant mise à distance. En donnant à voir à leurs semblables la représentation de cette transgression, les premiers peintres donnent un lieu propre à la transgression. Que les premières peintures soient des scènes de chasse, n'est aux yeux de bataille, pas anodin. [...]
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