On distingue alors souvent l'expérience commune de l'expérimentation scientifique, la première correspondant au vécu d'un individu et la seconde étant construite par la théorie et en vue de confirmer ou d'infirmer une hypothèse. Il en va tout autrement lorsque la question porte sur la simplification qu'opéreraient les théories, c'est-à-dire les différentes grilles systématiques d'interprétation des phénomènes, sur l'expérience, au singulier, dans sa plus grande généralité, dans le sens d'une appréhension et d'une vision du monde.
La constitution de discours théoriques, la production scientifique d'énoncés prétendant à l'objectivité, rend-elle plus compréhensible l'expérience que nous avons du monde ou détache-t-elle au contraire l'individu de l'appréhension la plus immédiate de ce qui l'entoure ?
[...] Non, les théories ne simplifient pas l'expérience L'expérience précède toute élaboration théorique Ce qui se donne d'abord à nous, c'est l'expérience brute. Quand nous voyons tomber un objet, nous ne voyons pas d'abord s'exercer la force gravitationnelle. Dans l'observation de ce très banal phénomène, ce qui nous apparaît en premier lieu et immédiatement, c'est la simplicité de la chute de l'objet. Il tombe simplement, et pour tenir compte de ce fait, si je me trouve par exemple sur le trajet de sa chute et que je dois m'en écarter pour éviter qu'il ne me blesse, je n'ai pas besoin de calculer l'énergie cinétique qu'il est susceptible d'acquérir dans son accélération vers le sol. [...]
[...] Toute théorie passe outre cet aspect de l'expérience. L'expérience est toujours celle d'un sujet doué de mémoire, qui a une histoire, et qui n'est pas qu'un pur récepteur de données sensibles. On pourrait alors dire que les théories simplifient l'expérience en un sens restrictif, voire péjoratif, puisqu'elles la dépouillent de sa dimension la plus caractéristique et la plus irréductible, à savoir celle du vécu. Malgré l'apparente complexité des théories scientifiques qui supposent un apprentissage plus long et moins immédiat que l'expérience commune, il faut bien constater que les théories n'ont d'autre but que de proposer une vision simplifiée du monde, c'est-à-dire une vision compréhensible en droit par chacun en ce qu'elle se veut strictement rationnelle et objective. [...]
[...] Les théories cherchent à construire un monde intersubjectif qui dépasse les perceptions individuelles et strictement personnelles des phénomènes. Elles simplifient l'expérience dans le sens ou, pour qui tient compte d'elles dans son appréhension du monde, elles offrent la possibilité de communiquer intégralement son expérience, d'en faciliter l'accès aux autres. L'expérience est toujours celle d'un sujet Cependant, lorsque je perçois, par exemple une mélodie, mon expérience ne peut intégralement se réduire au constat objectif de l'apparition successive d'une série de notes. [...]
[...] Si simplifier consiste à débarrasser quelque chose de tout ce qui y est superflu et accessoire, alors il faut dire que les théories ne simplifient pas l'expérience dans la mesure ou elles exigent que l'on prenne en compte dans l'analyse d'un évènement l'ensemble des phénomènes et des objets en présence ainsi que leurs interactions. L'approximation la plus grossière, débarrassée d'une quantité de grandeurs négligeables, suffit largement à l'expérience la plus quotidienne. La théorie se construit contre cette approximation large, laquelle devient, selon Gaston Bachelard dans la Formation de l'esprit scientifique, un obstacle à la construction des théories. Elle fait obstacle à la théorie pour la raison que l'expérience courante ne vise que le perfectionnement de l'action, là où les théories viendraient renforcer le raffinement de la compréhension. [...]
[...] Et nous ne connaissons pas alors les raisons de ce changement. Seule une réflexion théorique s'attachant à analyser l'ensemble des corps en présence et leur interaction entre eux et avec le milieu peut nous apprendre que la nature de la solution a changé par la séparation du chlorure de sodium en ions chlorures et ions sodiums. Le travail de définition de ses objets que se doit de produire au préalable toute théorie est un travail d'analyse, de séparation, et en définitive de simplification, c'est-à-dire de réduction aux éléments simples. [...]
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