L'étymologie du terme théorie (du grec « theorein » contempler), invite à assimiler la théorie à une simple vue de l'esprit à laquelle ne correspondrait aucune réalité. Contrairement à cela, l'expérience (du latin « experiri » : éprouver) semble avoir recours exclusivement à la réalité. Mais cette opposition radicale ne rend pas tout à fait compte des relations qu'entretiennent ces deux notions. Aucune théorie ne doit perdre de vue le réel, et aucune expérience ne constitue un élément suffisant.
On appelle homme d'expérience celui qui a beaucoup vécu et se serait instruit au contact des réalités diverses. Ce que cet homme sait d'expérience, ce qu'il sait pour l'avoir éprouvé vaudrait plus que la théorie. L'habitude, comme fruit de l'expérience, serait même comme l'affirme Hume « le grand guide de la vie humaine ». Une telle conception oublie que l'habitude n'engendre le plus souvent que des préjugés. Or, rien n'est plus éblouissant qu'un préjugé. Il arrive donc fréquemment que l'éclat de la vérité ne soit que la patine du temps et que notre certitude ne soit pas le fait de la raison, mais simplement l'éloquence de nos désirs.
[...] Les rapports polémiques entre les constructions théoriques et les faits nouveaux sont à la source d'une plus grande rationalisation du réel et de progrès de la raison elle-même. C'est au nom de ce critère de falsifiabilité que Popper récuse en particulier la psychanalyse. C'est, dit-il, une théorie qui a réponse à tout. Ainsi, les raisons sur lesquelles nous pouvons nous appuyer pour nier la réalité de l'inconscient ne sont, au fond, pour le psychanalyste, que des pseudo raisons largement influencées par des motifs affectifs et des complexes inconscients. [...]
[...] Principes et catégories sont sans cesse refondus. Ce thème du dialogue de la raison et de l'expérience est mis en avant par Bachelard : Si l'on pouvait traduire philosophiquement le double mouvement qui anime actuellement la pensée scientifique, on s'apercevrait que l'alternance de l'a priori et de l'a posteriori est obligatoire, que l'empirisme et le rationalisme sont liés, dans la pensée scientifique, par un étrange lien, aussi fort que celui qui unit le plaisir et la douleur. En effet, l'un triomphe en donnant raison à l'autre : l'empirisme a besoin d'être compris, le rationalisme a besoin d'être appliqué (Gaston Bachelard La philosophie du non PUF 1949). [...]
[...] Ainsi, par exemple, il est vrai que toute augmentation du pouvoir d'achat se traduit par une hausse de la consommation ou encore que le blocage des loyers entraîne une raréfaction des logements mis en location. Mais est-il besoin que la scientificité d'une théorie ne se mesure pas non plus à son pouvoir de prévision. En fait, la vérité scientifique n'a pas besoin d'être unique, elle est plurielle. Chaque science humaine a sa spécificité. Par exemple, en histoire, il est impossible d'établir des lois et de prévoir l'avenir, car il n'y a pas de répétition dans l'histoire réelle des hommes. [...]
[...] Torricelli refit cette expérience en imaginant des dispositifs expérimentaux différents. Pour dissiper toutes objections concernant l'existence du vide, Pascal mit en œuvre l'expérience du Puy de Dôme. Celle-ci montra que la hauteur du vif argent dans un tuyau est moindre en haut qu'en bas de la montagne. Il s'en suit nécessairement que la pesanteur ou pression de l'air est la seule cause de cette suspension du vif argent, et non pas l'horreur du vide. Pascal en conclura que dans le jugement qu'ils ont fait que la nature ne souffrait pas le vide, les anciens n'ont entendu parler de la nature qu'en l'état ou ils la connaissaient ( ) ils ont entendu qu'elle n'en souffrait point dans toutes les expériences qu'ils avaient vues, et ils n'auraient pu sans témérité y comprendre celles qui n'étaient pas en leur connaissance. [...]
[...] Le développement des sciences expérimentales amènera Bachelard à s'opposer à cette idée de passivité de l'observateur. Le caractère polémique de la démarche expérimentale Bachelard montre que la pensée théorique anime la totalité de la recherche scientifique. L'observation scientifique a besoin d'un corps de précautions qui conduisent à réfléchir avant de regarder. Elle a un caractère polémique en ce sens qu'elle s'oppose à l'observation première toute passive qui enregistrerait directement les données du réel. Elle suppose toujours une activité rationnelle elle confirme ou infirme une thèse antérieure, un schéma préalable, un plan d'observation ; elle montre en démontrant, elle hiérarchise les apparences, elle transcende l'immédiat, elle reconstruit le réel après avoir reconstruit les schémas. [...]
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